Ambivalent : la reconstruction après M_nus

Écrit par Trax Magazine
Le 31.08.2015, à 14h50
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Écrit par Trax Magazine
À l’occasion de la création de son nouveau label Valence, sur lequel vient de sortir son dernier maxi, And Or, nous avons rencontré Ambivalent. L’ancienne star de M_nus en a profité pour parler de sa reconstruction depuis son départ du label de Richie Hawtin.

Kevin McHugh, plus connu sous le pseudonyme Ambivalent, a commencé une carrière dans le monde de l’art à New York où il a pu inviter des artistes comme Carl Craig à jouer dans un contexte différent des clubs. Ce n’est qu’après les années 90 qu’il se plonge dans la techno. En 2007, il rejoint M_nus et sort « R U OK », un morceau extrêmement populaire qui le propulse au rang des DJs stars d’un des labels les plus importants de l’époque.

Mais il y a deux ans, il a quitté M_nus et a d’abord officié secrètement sous le pseudonyme La-4a avec des disques sortis chez le label à la saveur un peu old school, Delft. Insatiable, il vient de créer Valence, une nouvelle plateforme sur laquelle on trouve son dernier maxi accompagné d’un excellent remix signé Truncate. Entre les différents pseudonymes et projets, nous avons essayé de faire le point avec l’homme qui se cache derrière Ambivalent, La-4a, Amber : « Un alias est pour moi comme une chemise que j’enfile, je peux la porter quand je veux, mais ce n’est pas attaché à mon corps. Tout est connecté, je peux porter ces masques mais c’est toujours moi. » 

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Venant du monde de l’art, tu as pu voir la musique électronique évoluer dans différents environnements. Est-ce que tu y penses lorsque tu produis ? C’est drôle car aujourd’hui nous sommes un peu de retour à une division entre le bas et le haut. Si une chose est intellectualisée, c’est parce qu’elle est plus intelligente, mais ce n’est pas vrai. Le son est le son, et mes premiers pas lorsque je produis c’est simplement pour être libre.

Je commence avec une page blanche, je ne me dis pas : « Tiens ce soir je vais composer un morceau deep ou qui tape. » C’est pourquoi j’ai commencé les labels, ils me donnent la liberté de laisser la musique tout diriger. C’est un peu contre cette pression, qu’il y a en ce moment dans l’industrie, celle de toujours créer des hits. Des gens m’ont d’ailleurs dit parfois, avec une connotation négative  : « Pourquoi tu ne fais pas plus de disques comme ceux-là ? »

Je pense qu’être puriste entraîne la mort de la créativité. Si tu fais de la musique basée sur une idéologie, tu ne fais pas de la musique, tu écris une dissertation

Tu veux dire que certains de tes tubes comme “R U OK” sont devenus une sorte de stigmate ?

Oui. En fait, j’ai tout de suite pensé que si je refaisais un morceau comme celui-là, les gens ne voudraient plus que ça. C’était une décision consciente de faire autre chose. C’était aussi assez difficile de répondre aux attentes qui suivent un disque aussi populaire. C’est un morceau que j’ai fait pour plaisanter, je n’avais pas prévu de le sortir, mais M_nus a vu un chemin pour lui.

Cela a lancé ma carrière, donc je ne peux pas vraiment m’en plaindre, mais il y a certains de mes disques dont je suis fier, et il n’en fait pas partie. Je suis reconnaissant pour ces opportunités, tout comme je suis reconnaissant envers M_nus. Je ne serais pas où je suis sans eux, mais je pense que certains trucs n’ont pas vraiment eu un effet positif sur la musique.

Depuis que tu as quitté M_nus, il y a les nouvelles directions avec des pseudonymes, mais il semble aussi que tu as ressenti le besoin de reprendre le contrôle de ton environnement. Était-ce en réponse à un management excessif ?

Créer un label est une manière de montrer aux gens ce que tu respectes. Pendant longtemps, j’ai ressenti que tout était lourdement filtré. Parfois c’était une chance, car c’était un filtre qualitatif, mais parfois c’était dans le but de construire le monde de quelqu’un d’autre. Les pseudonymes m’ont permis d’effacer le contexte. Souvent, les gens écoutent quelque chose, et se basent sur des attentes déjà établies.

J’ai trouvé que les gens ne m’écoutaient pas en tant qu’Ambivalent, qu’il n’entendaient que cette marque attachée à mon nom. L’autre raison, c’est qu’en ce moment la musique sert à construire la célébrité : certains sortent des disques afin de recevoir un certain type d’attention, d’obtenir certaines dates. Les artistes dans la techno semblent de plus en plus concernés par la façon dont ils documentent les choses sur Facebook. En retour, beaucoup essaient de juger les artistes en se basant sur la popularité.

La haine contre M_nus est aussi idiote, parfois

Bien entendu on ne peut pas émettre de jugement sans être subjectif, mais la popularité n’est certainement pas une mesure à mes yeux. À la fin c’est la musique qui se perd un peu, la créativité en souffre. C’est un peu pourquoi j’ai effectué ces changements, et j’avais vécu exactement la même chose dans le monde de l’art. Je détestais le monde de l’art car ce sont tous des riches, en train de se battre pour savoir qui a la meilleure collection ou galerie, ça n’avait rien à voir avec l’art.

Quelqu’un me disait récemment lors d’un entretien qu’il blâme Richie Hawtin pour avoir été l’un des premiers à utiliser des tactiques commerciales dans le monde de la techno.

Je pense que parfois la célébrité, le pouvoir, et l’argent viennent aux gens et qu’ils ne peuvent pas les refuser mais que ça les change. En partie parce que les gens ont cette idée que quelqu’un de célèbre est génial. Il y a un pouvoir social dangereux derrière tout ça. Lorsqu’une célébrité entre dans une pièce, tout le monde s’arrête.

J’entends souvent dire qu’un tel ou un tel est un génie. Ce n’est pas vrai, on peut faire quelque chose d’excellent et se planter ensuite, ou faire quelque chose de différent. Nous n’avons plus vraiment de monarchies, mais nous nous imposons d’autres hiérarchies sociales comme : le plus célèbre, le plus beau… Ces catégories sont fausses et dangereuses car elles vous poussent à tenter de répondre à ces perceptions.

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Mais sinon, la haine contre M_nus est aussi idiote, parfois. Tu sais ce qu’on m’a dit lorsque j’ai révélé que j’étais La-4a ? « Oh tu fais quelque chose de cool à nouveau. » Alors que je ne faisais plus de trucs M_nus depuis des années. Et ce n’est pas comme si j’étais tombé pendant un temps, j’ai juste continué à faire des trucs et c’était peut-être simplement moins populaire.

Il est dur de ne pas avoir d’idée préconçue, je comprends que cela a pu être difficile parfois.

C’est pourquoi j’ai adoré jouer au Berghain. Je suis venu en tant que La-4a et presque personne ne savait qui c’était. Pendant que je jouais, beaucoup de gens sont venus jeter un œil sur cette petite liste à côté du DJ pour voir qui était en train de jouer. C’est le stade le plus anonyme que je peux atteindre je pense. Des gens qui écoutent et, s’ils aiment, viennent regarder qui c’est.

Et non des gens qui te connaissent et viennent vérifier s’ils aiment ou pas. Ça me rappelle un peu Richard D. James (Aphex Twin, ndlr) lorsqu’il déclare s’éclater lorsqu’il joue anonymement.

Tu sembles vraiment avoir eu besoin de t’éloigner de la célébrité, de la stratégie.

Je pense que c’est là que se crée la confusion à propos des gens qui font de la musique. Est-ce une impulsion créative ou une stratégie ? Au cours de ces deux dernières années, depuis que j’ai quitté M_nus, j’ai senti que, pour moi, cela devait être davantage une question d’honnêteté et de créativité.

Je ne veux pas dire que je ne pense pas à ce que les autres pensent, mais j’essaie de prendre une décision consciente, de ne pas laisser ces choses-là diriger la musique.

Des gens m’ont d’ailleurs dit parfois, avec une connotation négative  : « Pourquoi tu ne fais pas plus de disques comme ceux-là ? » 

L’industrie du spectacle crée une perception, une attitude, c’est Hollywood, et c’est très différent du processus de création. En étant honnête, on peut parler aux gens qui vont vous comprendre. Lorsque j’ai commencé La-4a, j’étais en studio en train d’essayer de me rapprocher des origines. J’avais d’ailleurs pensé que seuls les gens un peu plus âgés allaient comprendre.

Je n’essayais pas de faire des vieux disques, mais de ressentir les racines de cette musique. C’est aussi pour cette raison qu’il était tellement important de tout sortir en vinyles.

Certains de ces disques sont incroyablement chers.

Nous allons les sortir en version digitale. C’est une situation étrange, et je n’avais pas l’intention de sortir ces morceaux au début. C’est mon ami Martyn (3024) qui a insisté pour que je les sorte. Je les ai donc mis sur un white label en me disant : « Ok on va voir. » À un moment j’ai réalisé que les seules personnes qui pouvaient s’offrir ces disques étaient ceux capables de sortir 60 euros pour un vinyle.

Ce n’est pas vraiment démocratique à mes yeux. C’est un peu un produit de luxe. J’aime encore les vinyles, je crois encore en eux, mais être uniquement disponible sur vinyle, c’est un peu destructif.

C’est donc différent avec le nouveau label Valence ?

Valence commence avec les deux formats. J’ai appris, et c’est une évolution.

Pourquoi un nouveau label ?

Delft a un peu cette philosophie. Quand je me suis rendu compte que c’était dédié à ce son très brut, très pur, très old school, j’ai réalisé que je venais de me remettre dans une situation avec un filtre très spécifique. Je vais continuer à sortir de la musique avec Delft, mais pour toutes les autres musiques que j’entends et que je crée, j’avais besoin d’une autre plateforme.

Cela me semble être le bon choix, la façon la plus honnête de continuer même si ça peut sembler étrange. C’est une question de connexion, plus pure et intègre.

As-tu remarqué un changement dans tes dates ces dernières années ?

Je joue beaucoup aux côtés de Josh Wink, j’ai quelques sorties chez Ovum, et c’est un très bon ami. C’est vrai que cela a un peu changé. Pendant ma date à la Concrete, des gens sont venus me voir pour dire : « Mais c’est pas du M_nus ! » Le business autour de la techno peut vraiment retirer de la joie. Pendant un temps je ne ressentais pas tellement de joie, mais maintenant je déborde d’énergie. Ce n’est pas grave si je gagne moins d’argent, j’ai eu la chance de pouvoir reconstruire.

Tu as tout détruit ?

Non, ce n’est pas comme si j’avais pris la maison pour la raser. Mais c’est avoir de nouvelles perspectives sur tout. En ce moment, par exemple, je suis revenu aux vinyles et CDs alors qu’à une époque, j’adorais la technologie et la capacité de pouvoir programmer des boucles, des percussions… Un jour, j’ai écouté un de mes sets et j’ai remarqué qu’il y avait tellement de trucs qui se passaient ! Avec du recul, les meilleurs moments de ce set étaient juste un bon morceau. Pas d’effets, rien.

Les outils me donnaient la capacité de faire beaucoup de choses qui ne sont pas nécessaires. Le plus important est d’écouter la musique et de choisir le bon morceau. Cela m’a vraiment ramené à mes racines, être un DJ sans la technologie, qui cherche et partage de la musique de la meilleure façon qu’il peut. J’adore fouiller et trouver des disques, même si je réalise que beaucoup de gens découvrent de la musique en ligne. C’est un peu contradictoire avec le fait de faire passer un label uniquement vinyle en digital également. Je respecte les deux, c’est l’ambivalence. Là maintenant, voir la valeur des deux, c’est important pour moi.

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Tu as toujours des perspectives multiples ?

(Rires). C’est comme jouer digital ou avec des vinyles, c’est juste deux manières différentes de jouer. Une blague que je disais souvent lorsque je mixais avec un ordinateur, c’est que mixer c’est comme le sexe, si tu aimes vraiment ça, tu es ouvert à toutes les techniques.

Mixer c’est comme le sexe, si tu aimes vraiment ça, tu es ouvert à toutes les techniques.

C’est une belle façon de le dire. Mais lorsqu’il s’agit de produire, tu sembles très attaché à ton matériel.

Cela n’a pas toujours été ainsi. Il est impossible d’être un puriste dans ce domaine. Je pense qu’être puriste entraîne la mort de la créativité. Si tu fais de la musique basée sur une idéologie, tu ne fais pas de la musique, tu écris une dissertation. Tous les disques acid ont été créés par des personnes qui ne pouvaient pas dépenser énormément d’argent dans un studio.

Ils ont fait la meilleure musique qu’ils pouvaient avec les outils mis à leur disposition. C’est quelque chose de très inspirant, si des gosses font quelque chose d’excellent avec des plugins, ce n’est pas moins bien qu’avec un synthétiseur modulaire qui coûte 10 000 euros. Ce qui compte, c’est l’envie.

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