En 2001, tu rencontres Vincent Lemieux avant de fonder Musique Risquée. Peux-tu revenir sur la genèse de ce label ?
Marc : On s’est rencontré en soirée, et à partir de ce moment, on a très vite parlé du label. À l’origine, on était un collectif d’amis avec Vincent Lemieux, Stephen Beaupré, Scott Monteith (aka Deadbeat) et moi-même. L’idée était de regrouper nos forces afin de nous inspirer les uns les autres, avec comme but ultime de fonder un label de disques au son éclectique et imprévisible. Puis, il faut se remettre dans le contexte, quand on a commencé aux débuts des années 2000, c’était le début de la techno minimale avec Richie Hawtin, Perlon et Playhouse… On achetait tous ces disques mais on voulait partir dans un délire plus éclectique, s’amuser. Les gens qui viennent sur Musique Risquée savent où ils mettent les pieds. Ça n’est pas un label pour gagner forcément de l’argent, c’est plus un label d’amis, de passionnés.
“Du jour au lendemain, Montréal se retrouvait sur la map des cultures électroniques.”
À cette époque, tu rencontres Zip lors d’un live à Mutek. Comment s’est passée ta première collaboration sur Perlon ?
Marc : J’ai fait la rencontre de Zip en 2000. Lui et Markus Nikolai étaient en tournée sur le continent Nord Américain. Perlon ne m’était pas encore familier. Ils étaient tous les deux de passage à Montréal pour y performer et je jouais pour la seconde fois sous le pseudonyme d’Akufen dans le cadre d’une soirée Mutek, qui à l’époque était un volet du FCMM, (Festival du Nouveau Cinéma et Nouveaux Médias de Montréal). Pendant que je jouais, Zip a subtilement glissé une note – que je conserve précieusement – sur laquelle il m’invitait à le rencontrer. Ça a collé immédiatement ! Je lui ai envoyé des morceaux, il en a choisi un pour la compilation Superlongevity2, “The Unexpected Guest”, et depuis nous sommes amis. Ça a été ma rencontre la plus significative.
Akufen – The Unexpected Guest
En réalité, Mutek a lancé ta carrière.
Marc : J’y ai rencontré Zip mais aussi Thomas Brinkmann lors de la toute première édition. Il fut le premier à manifester un intérêt pour mon travail. Je lui avais remis, ainsi qu’à Riley Reinhold (fondateur du label Traum), mon premier disque d’Akufen sorti sur Oral. De retour en Allemagne, Thomas a fait circuler et Riley m’a contacté pour m’inviter à sortir un maxi sur son nouveau label Trapez. Ça m’a touché car j’adorais le travail de Thomas, qui est à mon avis un artiste accompli bien au delà de la musique. Je dois dire que lorsque Richard H Kirk de Cabaret Voltaire m’a approché pour remixer “Nag Nag Nag” sur Mute, ça m’a fait bien plaisir. Ils ont été d’une grande influence dans mon parcours musical. Pour être tout à fait honnête, j’ai été très surpris. Même aujourd’hui j’ai encore du mal à comprendre ce qui a bien pu se passer. C’était une époque tellement enrichissante et inspirante, tout était possible ! Tout a été si rapide et je me suis retrouvé comme tant d’autres artistes au cœur de cette révolution musicale. Sans Mutek, je crois que les choses se seraient passées tout autrement. Pour la première fois, la communauté montréalaise bénéficiait d’une visibilité sans pareil. Nous étions dans la cour des grands et les liens se sont rapidement tissés. Du jour au lendemain, Montréal se retrouvait sur la map des cultures électroniques. Beaucoup d’artistes locaux en ont tiré profits et ont pu rayonner en Europe et ailleurs dans le monde.
Cabaret Voltaire – Nag Nag Nag (Akufen’s Karaoke Slam Mix)
Tu gravitais dans cette sphère techno au moment ou tu t’es lancé dans l’aventure Musique Risquée. Pourquoi teniez-vous à ce que ce soit un label absolument éclectique ?
Marc : Tout simplement pour ne pas se limiter alors qu’il y a tellement de variétés de sons. La plupart des artistes que nous invitons sur le label sont, tout comme Vincent et moi, des fous de musiques dont les influences et les inspirations sont intarissables. Pourquoi se contenter d’un autre label techno ? Ça a beaucoup joué en notre faveur. Les gens ont bien accroché et ça nous aura aussi permis de toucher un public plus vaste.
“Je collectionne les vinyles depuis mon adolescence. Je dois bien posséder 6-7000 vinyles et je m’en sépare d’une centaine chaque année.”
En effet, tu es passionné de jazz, tu collectionnes les vinyles en tous genres et tu aimes jouer du piano. Comment ces multiples influences ont modelé tes productions ?
Marc : Je collectionne les vinyles depuis mon adolescence. Je dois bien posséder 6-7000 vinyles et je m’en sépare d’une centaine chaque année. Je n’ai plus de place pour les ranger ! J’ai un peu de tout, du rock, du jazz, du funk, du classique, du contemporain, du folklorique, de la country, du latino et de la chanson française. Je suis un assoiffé de musique. Dans mes dernières trouvailles, il y a beaucoup de soul et d’expérimentations. Mes sets évoluent selon mes achats, un peu comme un resto où il n’y a pas de menu fixe. Je cuisine avec les ingrédients frais de la journée. C’est vrai que j’écoute rarement de musique électronique chez moi, c’est même devenu une règle : Pas d’électro sous mon toit (rires). J’adore la musique instrumentale, j’ai appris tout jeune le piano et la guitare surtout. Je suis loin d’être un virtuose, je me débrouille et ça m’a été très utile pour composer. Mais comme je suis un grand timide, j’ai beaucoup de mal à jouer en public. Cela dit, l’ensemble des parties jouées à la guitare, aux claviers et à la basse, comme sur l’album d’Horror Inc par exemple, furent exécutées live au studio. Mais c’est beaucoup de travail car je dois rejouer les mêmes parties plusieurs fois avant d’être pleinement satisfait.
Penses-tu que cette façon d’envisager la musique à construit ta réputation de « père de la microhouse » ?
Marc : Tout arrive un peu par hasard je crois, notamment cette image. J’ai étudié les arts visuels, j’étais très inspiré par les surréalistes et leurs cadavres exquis ainsi que l’écriture automatique, ce qui m’a amené à l’échantillonnage sonore aux milieux des années 80. J’ai poursuivi mes recherches et j’ai appliqué cette méthode à la musique électronique. J’adorais la dynamique que cela créait. Il y a eu beaucoup de spontanéité et d’accidents heureux. Ça a donné des espèces de mosaïques sonores qui groovaient. Comme j’appréciais aussi beaucoup le funk et le swing manouche, ça rendait le tout très élastique, alors que la musique techno de l’époque était plutôt rigide. En fait, le terme microhouse vient de l’excellent journaliste américain Philip Sherburne. J’ai par la suite attribué à ma démarche le terme de microsampling. Je fais du sampling depuis 1985. Je me considère plus comme un artisan qu’un artiste. D’autant que je suis d’une génération où tu devais faire le maximum avec le minimum, c’est pour ça que je bidouille tout.
Que penses-tu de l’évolution de la microhouse ?
Marc : Ça a évolué dans plein de directions intéressantes. Ça a été appliqué à un tas de genres musicaux, ce qui est bien. Pour dire vrai, je m’en suis quelque peu distancé. Non pas que le genre ne m’intéresse plus, mais en tant qu’artiste, c’était nécessaire d’explorer d’autres possibilités pour ne pas servir de nouveau la même formule. Mais j’y reviens occasionnellement. C’est un véritable travail d’orfèvre et je n’ai plus autant la patience qu’avant de m’asseoir durant des heures pour découper des sons et les assembler. C’est un peu comme faire un casse-tête de 5000 morceaux. Après un certain temps, je dois me changer les idées.
“Je ne me suis jamais pris très au sérieux, pour moi l’humour a toujours été essentiel. J’aime les titres qui font sourire.”
Et comment s’est passée la conception de ton dernier maxi qui va sortir sur le label Karat et sur lequel on trouvera des titres comme “Make Bagels Not War”, que tu nous as livré en exclusivité ?
Marc : On peut dire que ça a été un « work in progress ». J’ai composé les pièces aléatoirement sans avoir l’intention d’en faire nécessairement un maxi. Puis, petit à petit, en les écoutant j’ai choisi celles qui étaient les plus complémentaires. Cela dit, je laisse souvent les pièces de côté pendant un certain temps pour y revenir avec une écoute différente et plus fraîche. Tout peut alors changer. Je suis perfectionniste mais, au fil des années, j’ai développé des méthodes de travail qui me permettent d’être plus efficace. D’abord, je trouve une base mélodique puis je me mets aux percussions, pour finalement terminer avec le fignolage et la dentelle. Mais je me réserve toujours des surprises, c’est important car c’est ce qui me garde éveillé. Pour ce qui est des titres, j’ai toujours procédé de la même manière. Je compose les pièces et puis, une fois terminées, je les passe en boucle et je me laisse inspirer par ce que la musique me raconte. Je ne me suis jamais pris très au sérieux, pour moi l’humour a toujours été essentiel. J’aime les titres qui font sourire.
Tu sembles être resté sur une même lignée musicale aussi abstractive que colorée. Pourquoi ?
Marc : La seule chose que je pourrais dire c’est que j’ai ajouté une saveur Horror Inc au son d’Akufen. J’aime bien fusionner les projets de la sorte, ainsi je m’accorde davantage de liberté et ça me permet de passer d’un son funky un peu plus pop à un truc complètement barré.
Ce maxi est annoncé comme celui de ton grand retour. Pourquoi ces quatre années de silence ?
Marc : Pas de raison en particulier. Sinon que j’aime prendre mon temps. Je ne me suis jamais mis la pression pour sortir des pièces par nécessité. C’est important que je le sente, c’est tout. J’aime bien disparaître du radar et ressurgir quand personne ne s’y attend. C’est bien les surprises, non ?
Tu es apparu dernièrement à la Concrète. As-tu joué tes nouveaux morceaux ? Comment c’était ?
Marc : Génial, comme toujours ! C’est une sacrée organisation la Concrète. Ils mettent le paquet. L’ambiance est toujours fantastique et le public très généreux. On s’est fait plaisir avec une belle soirée Get Perlonized l’an dernier avec Zip, Sammy, Cabanne et Sonja Moonear. Hélas, cette fois-ci, j’ai dû filer après ma performance car je devais me rendre en Turquie tôt le matin.
“Je m’affaire sur un nouvel album d’Akufen. Je sais que plus personne n’y croit, et c’est tant mieux.”
Tu reviens avec un nouveau maxi, mais n’aurais-tu pas un projet d’album en cours ?
Marc : Les choses se remettent en marche lentement mais sûrement. Je m’affaire sur un nouvel album d’Akufen. Je sais que plus personne n’y croit, et c’est tant mieux, la surprise sera d’autant plus grande. Puis, il y a quelques remixes et de possibles maxis en cours aussi. Contrairement à ce que les gens pourraient croire, je n’ai pas chômé durant les dix dernières années. Je ne cesse jamais de composer, c’est vital pour moi. J’ai énormément de musique qui dort sur mes disques durs. Je vais faire un peu de rangement dans tout ce bazar et on verra bien pour la suite des choses.
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Karat57 d’Akufen, prévu le 4 janvier 2017 sur Karat