Y avait-il un principe de départ dans votre collaboration avec Jean-Michel Jarre ?
Nicolas Godin : Jean-Michel voulait que chaque artiste soit identifiable, qu’il mette sa signature dans le morceau. Il a popularisé les nappes de l’Eminent 310 Unique qu’on a réutilisé par la suite (pour AIR, avec un synthé ARP Solina, ndlr). C’est le son typique de Jean-Michel Jarre. Et nous, nous sommes apparus sur la scène de la musique électronique avec ses fameuses nappes et le vocodeur. C’est notre signature.
Jean-Benoît Dunckel : Ce morceau, c’est une vraie collaboration, profonde, dans l’écriture de la musique.
De quelle manière avez-vous élaboré ce morceau ensemble ?
Nicolas Godin : Jean-Michel nous a présenté une matrice. Comme un cadavre exquis, on y a rajouté quelque chose et ainsi de suite. Il y a eu pas mal d’allers-retours. Le morceau s’est fait sur une année, entre 2013 et 2014. Nous nous sommes pas mal vus aussi, pour discuter du concept du morceau. Et nous sommes allés enregistrer dans son studio. Nous avons fait la finalisation du titre ensemble mais c’est lui, tout seul, qui a réalisé le mix.
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Est-il venu dans votre studio ?
Nicolas Godin : Non, mais nous étions plus intéressés à l’idée d’aller dans son studio que de le faire venir ici (rires). Nous avons grandi avec les photos de son matos. Personnellement, je n’avais qu’une envie, c’était d’aller là-bas. C’était impressionnant – et il nous en faut beaucoup. Il est à la hauteur de sa réputation.
Jean-Benoît Dunckel : Il a plein de synthés. Il a tout. Tous les synthés qui existent. De toutes les époques.
“Il a plein de synthés. Il a tout. Tous les synthés qui existent. De toutes les époques.”
Nicolas Godin : Et il continue à acheter du matos. Mais cela n’a rien d’un musée de collectionneur comme certains grands studios de Los Angeles. Là, on voit qu’il se sert de tous ses instruments. Ses synthés sont abimés mais en état de marche. Et nous avons seulement vu le studio ! Car il y a aussi le storage, le stock dans la cave…
Quand vous avez parlé pour la première fois du concept du morceau, avec quelle idée en êtes-vous sortis ?
Nicolas Godin : Vu que Jean-Michel Jarre appartient au patrimoine de la musique électronique, l’idée était qu’il fasse un morceau qui témoigne de toutes les époques qu’il a traversées. De la naissance de sa collaboration au Groupe de recherches musicales (GRM) de Pierre Schaeffer, avec des loops de bandes magnétiques jusqu’aux plug-in de 2015.
D’avoir un témoignage, au fur et à mesure que le morceau avance, de toutes les techniques de la musique électronique des cinquante dernières années. Nous lui avons proposé cette idée et cela lui a plu. D’autant plus que c’est le seul à savoir faire une loop avec des bandes magnétiques. Il a appris la musique comme ça, avec cette technique-là. Collaborer avec lui nous permettait d’avoir accès à quelque chose qu’on ne savait pas faire et à quelqu’un qui l’a fait en vrai, à l’époque.
Quels instruments avez-vous utilisés pour ce morceau ?
Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel : Il y a donc cette loop de bandes magnétiques qui commence le morceau, la fameuse boucle de Jean-Michel. Puis des nappes de synthé Eminent. Ça, c’est sa signature à lui. À partir de là, il y a du Memorymoog, du piano, du Prophet VS. Il y a nos voix qui font les chœurs et le chant au vocodeur. Toutes les rythmiques du morceau sonnent très Jarre, avec son shuffle si particulier. Il y a aussi un synthé MS-20 de Korg. Et Jean-Michel a rajouté aussi du thérémine. Et à la fin du titre, il y a un effet inspiré du “Baby, You’re a Rich Man” des Beatles.
Comment le trouvez-vous le morceau final ?
Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel : Très, très bien. Le résultat est un morceau électronique assez orchestral. Il est fat, riche, mais il dégage quelque chose de simple dans l’harmonie et la mélodie. Jean-Michel a rendu le morceau cinématographique avec une touche de sound design au début et à la fin. Il fait très film finalement et il reflète les deux personnalités, celle de Jean-Michel Jarre et celle d’AIR. C’est bien réussi. C’est une belle osmose. C’est génial d’avoir fait un morceau avec lui. Si nous avions su un jour, quand nous avions 12 ou 13 ans, que nous ferions de la musique avec Jean-Michel Jarre…