Lire la partie 1
Michel Colombier
La rencontre avec Michel Colombier a été l’une des plus importantes de ma vie. Avec Jean-Benoît, nous étions fous de son travail. Notamment ce qu’il a fait avec Gainsbourg. Je me souviens du film L’Héritier de Philippe Labro que j’avais vu enfant. Il y avait un son de tuba qui passait dans un écho. Ce son m’impressionnait beaucoup et je me demandais comment il l’avait fait. Nous avons pu rencontrer Michel Colombier à Los Angeles. On a sonné à sa porte et on lui a demandé s’il pouvait faire ce même son de tuba avec un écho pour un morceau de l’album Talkie Walkie. On s’est rencontré comme ça et finalement, il a fait les arrangements de cordes sur l’album et il a joué du piano sur le titre “Biological“. Michel Colombier représentait pour moi un idéal de vie : il avait une maison magnifique en Californie, un studio incroyable, ses enfants courraient dans la maison et dans le studio. Il faisait de la musique, était entouré de sa famille. Il avait un sourire radieux et une forme de sagesse, de sérénité en lui. Je pensais que cela le protégeait mais il est parti quelques mois après. On avait un concert au Hollywood Bowl à Los Angeles avec un orchestre symphonique. Je l’appelle pour qu’il fasse les arrangements pour ce concert et là, il me dit qu’il n’avait plus que quelques semaines à vivre…
Jarvis Cocker
Jarvis, c’est un mec génial. C’est un poète, venant de cette grande aristocratie du rock anglais. C’est quelqu’un qu’on admire beaucoup. Nous avons bossé avec lui pour l’album de Charlotte Gainsbourg. J’ai vu sa facilité à s’accaparer les chansons, la musique. La pop anglaise est comme un Graal pour nous. Et Jarvis a ce quelque chose de très british, qui manque beaucoup en France.
Charlotte Gainsbourg
C’est une belle photo de Jean-Baptiste Mondino. Mais il a retouché la photo car je n’ai pas du tout ce nez normalement ! Après Talkie Walkie, on a fait le disque 5:55 pour Charlotte Gainsbourg. Un album traditionnel de chansons, avec des couplets, des refrains, des breaks, réalisé dans un vrai studio d’enregistrement. Avec des compositeurs et musiciens (Air), des auteurs (Air, Jarvis Cocker et Neil Hannon), un producteur (Nigel Godrich), un arrangeur de cordes (David Richard Campbell, qui est le père de Beck) et une interprète (Charlotte). Un vrai disque à l’ancienne qui changeait des albums que l’on bidouillait à deux, dans notre coin. Charlotte a la classe, comme Gainsbourg. Elle aime travailler, se mettre en danger. Elle avait beaucoup de pression : ce n’était pas évident de revenir à la chanson car elle est la fille de son père.
Françoise Hardy
Elle est très très belle, cette femme comme cette pochette. Ce doit être une photo de Jean-Marie Périer. Un disque Vogue. C’est toute une époque. Un moment où la musique française a pu tenir la dragée haute à la pop anglo-américaine avec le studio Vogue. Ce studio qui était rue d’Hauteville et où il y avait un son incroyable. Il y avait des fortes personnalités. Françoise Hardy pouvait chanter en français sans que cela soit un problème, avec des paroles hyper romantiques. “Au fond du rêve doré” est une chanson pas tellement connue. C’est Etienne Daho qui nous l’a faite découvrir. Une nuit, on était chez lui, on écoutait plein de musique en buvant du champagne et en fumant des cigarettes. Il nous a fait écouter ce morceau en insistant sur le tambourin. Un jour, on devait faire un morceau inédit pour le Japon et on en a fait une version. C’est Jean-Benoît qui chante, de façon très aigue, et on dirait que c’est Françoise Hardy qui chante. On l’a rencontré, Françoise. J’ai une connexion naturelle et astrologique avec elle car nous sommes tous les deux Capricorne.
David Bowie
David Bowie était Capricorne aussi. C’était l’une des personnalités les plus douées du XXe siècle. Il arrivait à concentrer tant de choses dans un seul être humain : la voix, le physique, le talent de compositeur, l’esprit de visionnaire. Il savait prendre des risques et être commercial en même temps. C’était aussi une bête de scène. Et il a réussi à faire tant de disques formidables sur une longue carrière. On a eu la chance de remixer un de ses titres. Au début de Air, on a fait quelques remixes : cela nous a permis de nous acheter des synthés, du matériel et d’installer notre studio personnel. Après, on a arrêté d’en faire. Mais après, si Bowie t’appelle pour que tu le remixes, tu le fais. Tu ne peux pas refuser. D’ailleurs, c’est comme ça que ça s’est passé : j’étais chez moi et il m’a appelé directement sur mon portable. Il me demande si je suis bien Nicolas Godin et il me dit qu’il est David Bowie ! Je n’ai pas perdu mon sang-froid et je lui ai même demandé quelle boîte à rythmes il avait utilisée sur le morceau “Nightclubbing” d’Iggy Pop. Et il s’en rappelait très bien, c’était la sienne, il l’avait achetée au Japon en 1977. C’était fou qu’après avoir pris autant de drogues, il se souvienne de détails comme celui-là !
Georges Méliès
Un autre grand visionnaire de l’histoire de l’art avec ses films. C’était un événement phénoménal et historique de retrouver une version couleur du Voyage dans la lune. Le master était en noir et blanc mais Méliès avait fait peindre la pellicule. C’était une chance qu’on nous propose d’en faire la musique. C’était un projet excitant. Je crois que c’est ça l’avenir pour Air, travailler sur des projets où on sert à quelque chose. Parce que sur nos propres disques, on n’a dit ce qu’on avait à dire. Si aujourd’hui, notre musique peut accompagner des projets comme Le Voyage dans la lune, des projets de cette ampleur, nous serions ravis.
Mathias Kiss
Un artiste plasticien avec qui nous avons une grande complicité. C’est un poète. Un peu comme un musicien. Il crée des univers. Nous avons une œuvre dans notre studio, un miroir froissé, que nous avons exposé au Palais des beaux-arts de Lille l’année dernière. L’art contemporain est important dans le parcours de Air. Nous somme sensibles au travail artistique et aux questionnements qu’il y a dans l’art contemporain. Il y a une bonne énergie, comme dans la mode, là où le secteur de la musique est moribond depuis la crise du disque. Dans l’art contemporain, il y a de l’argent pour faire des créations un peu folles et des artistes un peu dingues pour réaliser ces œuvres. Et ça, ça a disparu dans la musique. Dans l’art contemporain, nous sommes aussi proches de Xavier Veilhan, qui a fait deux statues de nous, qui sont photographiées sur la pochette de l’album Pocket Symphony. C’est très stimulant de travailler avec des artistes comme eux.
Air (1996)
Elle est embarrassante cette photo… C’est le début de notre carrière. On rêvait à l’époque de faire de la musique, de réaliser des albums qui deviennent des classiques. On voulait faire de la musique universelle. Quand on faisait Ce matin-là dans mon appartement à Montmartre, on rêvait d’être à Hollywood dans les studios Capitol à enregistrer avec les musiciens de Frank Sinatra, avec les meilleurs instrumentistes et le meilleur matériel du monde. C’était des fantasmes. Et pas mal de choses se sont réalisées. Nous sommes allés dans nos rêves
Air (2016)
Un cliché pris par Linda Bujoli, une amie photographe, pour cette anthologie et cette tournée des festivals. Cette image, avec les traits de lumière, a été créée avec Laurent Pinon de l’agence Prototype. Nous sommes très contents de cette photo. On n’a pas trop vieilli, ça va ! Artistiquement, Air a aujourd’hui envie de se renouveler et nous avons envie de faire un album à la hauteur des précédents. Alors le groupe est en stand-by sur disque où il y a moins d’attente, moins de désir, moins d’enjeu actuellement dans cet univers du disque devenu triste. Mais Air remonte sur scène, car là il y a toujours une vraie excitation, une magie. Les premiers concerts de cette tournée d’été ont été géniaux !
❖