Ados punk, EBM et cadavres de chats : pourquoi le Medusa était le club le plus dark de Chicago

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
Le 05.10.2021, à 17h52
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Bien moins reconnu à l’international que le Warehouse et Power Plant où officiait Frankie Knuckles, le Medusa a pourtant grandement participé à définir le son de Chicago dans les années 1980. La house music, phénomène local à l’époque, s’y trouvait mélangée à l’EBM de Front 242, aux premiers disques de Ministry et de Nitzer Ebb. Un sombre cocktail qui rassemblait skinheads, punks et jeunes branchés sur la piste de danse, et peut-être au-delà.

Par Maxime Jacob
Photos : Archives rassemblées par Joe Michelli

C’est un samedi de 1987 comme les autres, au croisement de Belmont Street et Clark Avenue. Sur les coups de 16 heures, comme chaque semaine, une foule d’adolescents venue des quatre coins de Chicago se réunit sur le parking réservé aux clients de l’enseigne Dunkin’ Donuts, dans le quartier résidentiel – et malfamé – de Lake View. Mais ces jeunes-là ne viennent pas prendre le goûter. D’ailleurs, le patron de Dunkin’ Donuts refuse la plupart du temps de les servir. Leurs cheveux multicolores font fuir ses clients. Jamal Moss est l’un de ces jeunes punks qui ont fait du parking un de leurs points de rendez-vous de prédilection, valant au lieu le surnom de « Punkin’ Donuts ». Aujourd’hui, trente-quatre ans plus tard, il est à la tête du label Mathematics et produit de la musique électronique sous l’alias Hieroglyphic Being, une référence en matière de Chicago house. « Le parking était un des points de rassemblements à la mode dans les cercles alternatifs. On venait s’y battre, déconner, draguer, s’approvisionner en drogues ou trouver un colocataire », se souvient Jamal.

Il est déjà 17 heure : la foule grandit encore, jusqu’à rassembler plusieurs centaines d’adolescents et de jeunes adultes. Des skateurs lâchent des tricks dans un coin du parking. Des gosses venus des beaux quartiers les observent en tétant des canettes. Des dizaines de skinheads répartis en bandes s’adossent aux automobiles. Certains sont d’ailleurs noirs, gay, parfois les deux. De l’autre côté du parking, des filles mineures maquillent leurs copains : highliner noir sur les paupières, verni pourpre sur les ongles. Les plus branchés se préparent, on déplie des vêtements achetés chez The Alley, le temple de la mode punk de la Windy City. Les jeunes enfilent du surplus militaire, chaussent des converses Chuck Taylor trouées, arborent des collections surannées de prêt-à-porter étiqueté Issey Miyake ou Paco Rabanne. « Les fringues chinées étaient la cryptomonnaie de l’époque, explique Jamal Moss. Certaines pièces rares que vous possédiez pouvaient être échangées contre d’autres fringues, contre de l’argent ou des services. » Tous les jeunes de Chicago savent ça.

À 19 heures, la bande de Jamal Moss se met en route vers le Nord. Ils sont déjà en retard : à 500 m de là, au 3257 North Sheffield, le Medusa ouvre ses portes. Des colosses en bottes de cuir tiennent l’entrée du club, l’un des plus réputés de Lake View. Ils s’appellent Jerry Rodgers ou Mike, appartiennent à des communautés skinheads non racistes et font patienter la foule, exclusivement composée de mineurs de 15 à 17 ans. La queue grossit devant les trois étages de ce bâtiment en briques rouges. Construit dans les années 1920, l’édifice était à l’origine le siège de l’Ordre des Vikings, représentants de la communauté suédoise de Chicago. Les gosses qui patientent devant la porte n’en savent rien : ils sont là pour la All Ages Dance Party, le créneau horaire hebdomadaire du Medusa réservé aux 15-17 ans, de 19 heures à 22 h 30. Passé l’entrée, un escalier mène au dancefloor, gardé par Rose Piasecki, 70 ans, qui enchaîne les cigarettes. Entre deux taffes, elle s’assure que les gamins ne cachent pas d’alcool sur eux. S’ils sont clean : les portes s’ouvrent sur une piste de danse, surplombée par deux balcons où des centaines de gosses débraillés s’agitent.

Jonathan « Scrappy » Gilbert est aux platines ce soir-là, comme tous les samedis. Il enchaîne les derniers hits locaux de house, les classiques d’EBM et de post-punk qui ont fait la réputation du lieu. « Aller au Medusa m’a donné accès à des sons plus divergents et étranges. À l’époque, comme beaucoup de monde à Chicago, j’étais un fan hardcore de house, se souvient Jamal. Ça m’a ouvert l’esprit. L’ambiance me faisait penser à une fête vraiment intense organisée dans un vieux théâtre au décor goth et indus. » Et la foule ? « Les jeunes venaient de tous les horizons. Vous trouviez des gosses de riches, des punks, des skinheads, des mods, des types en bomber, des raveurs et pas mal de filles catholiques encanaillées. C’était un mélange de Sa Majestée des Mouches et de films comme Génération perdue de Joel Schumacher. »

Naissance de la Méduse

Le Medusa a ouvert ses portes en 1983 à l’initiative de son patron iconique, Dave « Medusa » Shelton. Membre de la communauté gay de Chicago, localisée sur Broadway, Dave Shelton a travaillé pour une compagnie aérienne dans les années 1970. Il a vécu à Hawaï où il a organisé ses premières soirées. Rentré à Chicago, Dave, un homme aux longs cheveux bouclés bruns qui se déguise parfois en drag pour rire, se met en tête de lancer ses propres soirées dans la ville des Bulls. Greg « Blue » Pittsley, qui deviendra le club manager du Medusa, le rencontre en 1976. « Dave sortait avec un ami à moi. On s’est rencontrés en soirée. Il était actif dans le milieu artistique, dans le théâtre de rue à Chicago, rapporte-t-il. On a vite sympathisé. Comme il gravitait au milieu de plein de personnes créatives, l’idée lui est venue rapidement de développer un club, où toute cette communauté pourrait se rassembler. »

les relations avec les voisins de palier étaient tendues. Les gens hurlaient dans les parties communes, quand ils ne vomissaient pas dans les escaliers 

Greg Pittsley, club manager

Fan de disco, Dave Shelton a l’habitude de sortir au Warehouse, le club qui donna son nom à la house music. Il y organise une première soirée baptisée Men in Progress le 3 mars 1979, et invite le résident Frankie Knuckles à mixer. En octobre 1980, après avoir organisé quelques fêtes itinérantes, Dave Shelton ouvre un premier club d’after, le 161 West. « Le club se situait au 12e étage d’un édifice religieux. Dave y a organisé quelques soirées déguisées, toujours avec Frankie Knuckles. Mais les relations avec les voisins de palier étaient tendues. Les gens hurlaient dans les parties communes, quand ils ne vomissaient pas dans les escaliers », témoigne Greg « Blue » Pittsley. À Jacob Arnold qui l’interview en 2014 pour Resident Advisor, Dave Shelton confie : « Le renouvellement du bail a pris l’eau le jour où le propriétaire a compris que l’ambiance était chaude et que le public était noir », un an à peine après son ouverture.

Dave Sheldon, dans le Medusa

La première soirée du Medusa a lieu le 22 octobre 1983. Un an plus tôt, Dave signe un bail avec le propriétaire des lieux, et obtient de la ville de Chicago une licence de « lieu de rassemblement public ». Autrement dit, le Medusa renonce, comme le Warehouse, à servir de l’alcool. « C’était la condition pour pouvoir ouvrir 24h/24, se souvient Blue. Mais bien sûr, il y avait beaucoup d’épiceries dans le quartier et les jeunes buvaient à l’extérieur du club. Une blague récurrente à cette époque était de dire : “Pour obtenir de l’alcool, s’adresser à n’importe quel employé du Medusa”, parce qu’on cachait tous de la vodka sous le comptoir. » Les soirées commencent à 23 heures, et le club ferme d’ordinaire à 9 heures le lendemain matin. L’entrée est réservée au plus de 18 ans, mais le Medusa étant un Juice Bar, il est autorisé à accueillir du public sans limites d’âge, ce qui permet l’instauration des All Ages Parties dès 1985.

House Maison

En 1983, au moment où le club ouvre, la house music, son emblématique de Chicago, commence à se définir précisément. Considéré comme le premier morceau du genre, « On & On », produit par Jesse Saunders et Vince Lawrence sort en 1984 sur Jes Say. À Lake View, dans le quartier du Medusa, Joe Shanahan possède deux clubs, le Metro et le Smart Bar, ce dernier étant toujours en activité. Dès 1982, Frankie Knuckles officie dans son propre club, le Power Plant. Au même moment, Robert Williams, patron du Warehouse, renomme son club Muzic Box, et installe Ron Hardy aux platines. La concurrence est rude et chaque club cherche à se démarquer des autres en définissant sa propre version de la dance music. « Dave et moi étions plutôt influencés par le disco et la house, se rappelle Blue. Mais au lancement du Medusa, nous travaillions avec une troisième personne nommée Rodney Rushing, qui gérait le club avec moi. Lui était plus affilié à une esthétique goth. Ça a joué dans la direction artistique que nous avons prise et dans le choix des DJ résidents. »

Dave, Blue et Rodney commencent par faire jouer des DJ locaux, sans grande conviction. Très vite, deux noms vont s’imposer aux trois promoteurs : Mark Stephens et Bud Sweet. « Comme Rodney était dans les trucs goth, il ne voulait pas qu’il n’y ait que du disco, alors il a débauché Bud Sweet qui officiait au Ne Yo, un bar punk. Bud mixait le vendredi, Mark le samedi. Et là, il s’est passé quelque chose : Bud et Mark s’adoraient, alors ils assistaient toujours aux DJ sets l’un de l’autre. Au fur et à mesure, ils se sont influencés mutuellement et en est résulté ce style hybride fait d’EBM, d’indus et de post punk mélangé à de la house. Au bout de quelques mois, ils avaient le même son. » Dans un mix de 1985 enregistré au Medusa, on peut entendre Mark Stephens jouer « Our Darkness » d’Anne Clark et les premiers morceaux synth-wave de Ministry. « Mark était un DJ exceptionnel, confie Joe Michelli, ancien VJ du Medusa. Il mixait neuf heures d’affilée, sans faire de chichis : il ne scratchait pas, il avait un style très sobre. Vous n’entendiez pas les transitions entre les morceaux. Il avait l’habitude de jouerHarold & Cindy Hospital”de Severed Heads, en 45 tours au lieu de 33. Quand ils l’ont appris, Severed Heads lui ont adressé un mot en lui demandant d’arrêter de massacrer leur travail. »

The Sound of Belgium

Le son EBM, qui devient emblématique du Medusa, est indissociable de Wax Trax! Records, un disquaire et label qui s’établit en 1978 à quelques pâtés de maisons du club de Dave Shelton. L’enseigne, tenue par Jim Nash et Dannie Flesher, vend des disques de post-punk, d’indus et d’EBM. On y trouve les nouvelles sorties des Cure, des Cramps ou de Siouxsie and the Banshees. « Dave a rencontré Jim et Dannie et il les adorait. On s’arrêtait à Wax Trax! le samedi pour discuter. » Bud Sweet et Mark Stephens, les deux DJs du Medusa, s’approvisionnent en priorité chez le disquaire, qui leur confie des testpress exclusifs. « Jim et Dannie étaient fans de musique indus et goth, explique Greg « Blue » Pittsley. Ils voyageaient beaucoup pour trouver de nouveaux groupes à signer sur leur label. Et au début des années 1980, ils se concentrent sur l’EBM, un nouveau genre venu d’Europe, principalement de Belgique. » Le label Wax Trax! signe ainsi un premier EP de Front 242, basé à Bruxelles, en 1983. Ils étoffent encore leur catalogue en signant le premier disque de Ministry, ainsi que de Divine, drag queen légendaire qui mélange Hi-NRG et punk.

En 1984, Jim Nash et Dannie Flesher commencent à participer à la programmation du Medusa, qui propose désormais des concerts live en plus des DJ sets. Front 242 y fait sa première apparition américaine en septembre. Ministry, basé à Chicago, est également à l’affiche du club. La même année, Le Medusa fait jouer un groupe quasiment inconnu à l’époque : les Red Hot Chili Peppers. Pour l’occasion, Dave Medusa fait installer des rampes et curb de skate dans le club. « Si vous aviez une idée à proposer à Dave, il vous répondait : “Oui”. Et si l’idée était vraiment provocante, il vous répondait : “Putain oui !” », sourit Leroy Fields, VJ au Medusa.

Jésus et cadavre de chat

L’identité du Medusa était musicale, mais aussi graphique. Le logo du club, une tête de Méduse dont les serpents ont été remplacés par des prises électriques, a quelque chose d’hypnotique. Surtout, le club est pionnier en matière de VJing, à une époque où le clip vidéo commence à entrer dans la culture populaire. Dans une salle située au deuxième étage, Joe Michelli et Leroy Fields proposent des clips vidéo mixés en temps réel sur de la musique à un public qui danse ou se relaxe assis sur le sol. « Je compilais des extraits de films d’art, de clips de Chris & Cosey, de films de John Waters, mais aussi des panoramas de Chicago ou des extraits de l’émission Soul Train, raconte Joe Michelli. J’avais travaillé sur un clip de six minutes fait de centaines de scènes dans lesquelles un personnage prononçait le mot “Fuck”. On entendait des “fuck-fuck-f-f-f-fuck you” en boucle. Beaucoup de gamins me réclamaient la vidéo des “fuck”. »

Leroy Fields, disciple de Joe qui prit son relais en 1987, explique la difficulté d’être VJ dans un monde sans ordinateur. « On avait acheté deux lecteurs VHS professionnels, deux enregistreurs vidéo et un contrôleur qui nous permettait de switcher entre les deux. Il fallait connaître les vidéos par cœur, pour pouvoir se rappeler dans quel film se trouvait l’extrait souhaité. Parfois, il fallait rembobiner toute la cassette pour trouver l’extrait. Vraiment, ça nécessitait beaucoup de concentration », insiste Leroy. Les deux VJs ne s’imposent qu’une seule limite : pas de porno. « Le club était rempli d’ados. Je pense que c’était vraiment la dernière chose à faire », balaie Joe Michelli.

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La climatisation lui est tombée dessus et le pauvre Jésus s’est effondré sur trois jeunes.

Greg « Blue » Pittsley, club manager

Au dernier étage du club, Dave Shelton laisse des artistes organiser des performances. « Une fois, lors d’une soirée Family Plan, des artistes avaient suspendu des mannequins très réalistes à forme humaine. Ils avaient accroché des intestins achetés chez le boucher pour faire comme s’ils étaient éventrés. Ça sentant très fort. Le lendemain, on a retrouvé un cadavre de chat accroché à l’entrée du club » , sourit Greg « Blue » Pittsley. Par ailleurs, la décoration du club est renouvelée tous les deux mois. « Au moment de Pâques, on a fait une déco sur le thème de l’église. Un énorme Jésus Christ trônait en haut de l’escalier, à l’entrée. La climatisation lui est tombée dessus et le pauvre Jésus s’est effondré sur trois jeunes. On a conduit l’un des jeunes sévèrement touchés à l’hôpital. Quand on a prévenu son père, il nous a remerciés et nous a dit de dire à son fils qu’il allait se prendre une trempe. Le gosse appartenait à une famille de Chrétiens néerlandais et son père a ajouté : “Chez les Chrétiens néerlandais, on ne danse pas le soir de Pâques”. »

Le drôle de mélange proposé par le Medusa attire une foule de plus en plus hétéroclite, à force de bouche à oreille. Dès 1984, la file d’attente devant le club se change en un défilé de goths, de punks, de skinheads, de jeunes noirs, de gays et de fils de bourges, curieux de se confronter à un milieu underground. « Dave et moi faisions partie de la communauté gay, mais nous adorions sortir dans les clubs à majorité noire, parce que les gens y étaient plus cools, affirme Greg “Blue” Pittsley. On souhaitait donc que le Medusa soit ouvert à tous. À l’entrée, on avait accroché un panneau sur lequel les jeunes pouvaient lire : “Si vous avez une sale attitude, veuillez la laisser à la porte”. Et on veillait à ce que ce soit le cas. » Régulièrement, le club était envahi d’apprentis marins, qui s’entraînaient à la Naval Station Green Lake. « Beaucoup de jeunes venaient de très loin, parfois de l’Indiana ou du Michigan, pour se rendre au Medusa. Certains d’entre eux n’avaient jamais vu de noirs de leur vie », raconte encore Blue.

Voisins vigilants

Mais dans le quartier de Lake View, la présence du club dérange le voisinage. Le lieu se situe près de Wrigley Fields, le stade de baseball des Cubs de Chicago. La plupart des jeunes se rendent au Medusa en voiture et les fans de baseball n’arrivent plus à se garer dans les alentours du stade. « Ça a créé des tensions et parfois quelques bagarres », lâche Blue. Le Punkin’ Donuts et le Medusa sont le terrain de jeu des skinheads antiracistes, mais des bandes de skins néonazis traînent dans le coin. « Un jour, j’ai retrouvé des croix gammées dessinées sur mes disques entreposés dans le club. Quelqu’un avait dû apprendre que j’étais juif. Ça m’a décidé à quitter le club », regrette Scrappy, un DJ résident.

Des actes de violence, rares dans l’enceinte du club, sont perpétrés sur les parkings alentour. « Dans les années 70, les habitants de Chicago ont quitté le centre-ville malfamé pour s’installer en banlieue. Au-delà d’Halsted Street, qui coupait le centre-ville en deux du Nord au Sud, c’était le no man’s land. Le Medusa se trouvait deux pâtés de maisons après Halsted, dans un quartier en voie de gentrification. Les nouveaux voisins, plus riches, se sont ligués contre le club », décrit encore Blue. En 1989, le conseil municipal de Chicago vote le Juice Bar Act, qui impose au Medusa et aux autres clubs sans alcool de fermer à 2 heures du matin en semaine, et 3 heures le samedi. « Un seul élu nous a soutenus, affirmant que s’il votait la loi, ses enfants ne lui pardonneraient jamais.»

« Mark n’arrive plus à mixer »

En plus des problèmes de voisinage, le Medusa doit affronter les ravages du sida. Mark « Hot Rod » Trollan, compagnon de Mark Stephens qui a notamment composé « Your Love » avec Jamie Principle, décède de la maladie en décembre 1986. Ses cendres sont répandues sur le dancefloor du club. Stephens est lui aussi positif, il en décédera quelques années plus tard. Joe Michelli, qui est débauché par le Metro en même temps que Stephens en 1987, se souvient : « On le voyait se détériorer, c’était très dur. Il tenait à mixer jusqu’au bout. Un soir, on m’a appelé et on m’a dit : “Mark n’arrive plus à mixer”. » La maladie touche en priorité la communauté gay, mais finit par atteindre également le reste de la population, et aucun traitement efficace n’existe alors. « On faisait attention à ce que l’endroit ne se transforme pas en baisodrome, corrige Leroy Fields. Ça aurait été mauvais pour la réputation du club. Les gens faisaient la fête de manière très libre, mais quand il était question de sexe, la plupart étaient très conscients des risques. »

C’est bon, Dave est parti, tu peux balancer de la techno

Greg « Blue » Pittsley, club manager

Malgré les difficultés, le Medusa survit au 3257 North Sheffield, grâce notamment à MTV. En 1989, la chaîne de télévision tourne un épisode de son émission 120 minutes consacré au club le plus punk de Chicago. Au lendemain de la diffusion, la queue devant le Medusa triple de volume. Entre temps, le club a pris un virage house, sous l’influence de Jonathan « Scrappy » Gilbert, DJ résident dès 1987. « Au début des années 1990, tous les jeunes de la ville voulaient de la techno, se souvient Blue. Mais Dave Shelton détestait ça. Il refusait qu’on en joue, il voulait qu’on reste focalisé sur l’EBM. Dès qu’il quittait le club, j’allais voir le DJ et je lui disais : “C’est bon, Dave est parti, tu peux balancer de la techno”. C’est ça que les gosses voulaient. »

Medusa on the run

L’histoire du Medusa prend fin le 25 juin 1992, neuf ans après son ouverture. Le propriétaire du bâtiment, qui n’a jamais soutenu le club, rechignant même à rénover la plomberie, augmentait le loyer à chaque renouvellement du bail. « En 1992, Dave m’a dit qu’il pensait que les conditions n’étaient plus réunies pour ouvrir le club. Le loyer était devenu insoutenable », confie Blue. Après une soirée hommage à Wax Trax!, le Medusa organise une fête privée de soixante-douze heures, à destination des amis, habitués et de la presse. Dave Shelton met ensuite sur pied quelques soirées itinérantes baptisées Medusa on the run, avant de trouver un nouveau local sur Milwaukee Street. Une nouvelle version du Medusa s’y installe le temps d’une année, mais le quartier, gangrené par les gangs, fait trop peur à la clientèle. Après quelques atermoiements, Dave Shelton décide de fermer boutique, puis de tenter sa chance à Elgin, sa ville natale, située à l’ouest de Chicago. « En 1997, Dave y a ouvert un club, le Mission, qu’il a finalement rebaptisé le Medusa, retrace Leroy Fields. Je n’aimais pas trop la version du Medusa à Elgin. C’était cool, mais les jeunes là-bas y allaient bien apprêtés pour se prendre en photo. Le club ne signifiait pas la même chose pour eux que pour les ados des 80’s à Chicago. »

Dave Shelton décède de cause naturelle le 8 août 2020. Au lendemain de l’annonce, des habitués du club déposent des dizaines de gerbes de fleurs à l’entrée des locaux d’Elgin et de North Sheffield. Aujourd’hui, un groupe Facebook consacré au Medusa rassemble 4 200 nostalgiques, qui partagent des souvenirs et des morceaux joués par les DJs. « Le Medusa était un endroit où les gens pouvaient être eux-mêmes. Et c’est quelque chose qui me paraît très important : on a permis aux gens de découvrir qui ils étaient au fond d’eux », s’émeut Leroy Fields. Au croisement de Belmont Street et Clark Avenue, le parking et les punks ont disparu. Le Punkin’ Donuts a été remplacé en 2015 par un centre commercial. Jamal Moss, lui, vit toujours à Chicago. Et il sait ce qu’il doit à l’ère Medusa : « Je ne ferais pas la même musique aujourd’hui si je n’avais pas traîné au Medusa étant adolescent. Cette époque m’a totalement façonné. »

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