Pour son projet de fin d’études, Mathilde Velten a souhaité mettre en valeur les contestations et les engagements au sein des cultures électroniques par le biais de son mémoire intitulé “Electrophonie”. Un mot judicieusement inventé par la jeune diplômée d’un DSAA à l’école d’Art et de Design de l’Ensaama Olivier de Serres à Paris : “électro” pour les cultures électroniques, allié au suffixe “phonie” qui signifie la parole, s’exprimer au travers d’un langage. Par cultures électroniques, ce sont autant les musiques que les danses et les performances artistiques qui sont abordées dans ses recherches.
« J’ai essayé au maximum d’établir le projet en collaboration avec des acteurs des cultures électroniques : public, danseuses et danseurs professionnels, photographes, écrivains, journalistes, etc. Je les ai interviewés pour avoir leurs avis et positionnements sur bien des sujets par rapport à ces cultures », explique la graphiste.
Ce qui m’intéresse au-delà de l’amour pour les cultures électroniques c’est tout ce qui s’en dégage, au-delà du dancefloor.
Mathilde Velten
Des motivations artistiques et politiques
Au travers d’une démarche et d’une perspective documentaire, la première motivation de son travail a d’abord été artistique. « Je suis vraiment passionnée et fascinée par les musiques électroniques. Il y a une force et une beauté énorme qui se dégagent des moments que je peux vivre grâce à cette culture », décrit Mathilde Velten. « C’est un univers qui est hyper puissant sensoriellement, qui fait vibrer, qui t’emmène dans une autre perception du monde », s’évade-t-elle. « Les cultures électroniques font partie de mon quotidien et de mon paradigme. Ce qui m’intéresse au-delà de l’amour pour cette culture c’est tout ce qui s’en dégage, au-delà du dancefloor ».
La seconde motivation de la graphiste est politique. « Ces cultures m’ont appris beaucoup de choses sur le rapport à l’autre, sur l’altérité qu’elle soit individuelle ou collective. Il y a vraiment des engagements forts et puissants, accompagnés d’une subversion contemporaine et actuelle », affirme Mathilde Velten. « Ces cultures offrent vraiment des safe space a des communautés marginalisées et opprimées (LGTBQ+, scène vogue, droits personnes racisées, contre le sexisme). Elles sont donc un acteur actuel majeur du militantisme moral et portent un message qui a une vraie puissance d’action », continue-t-elle.
Médiation et engagement
L’idée initiale du travail de la chercheuse était de montrer les engagements de cette culture au plus grand nombre. Mathilde Velten s’est vite rendu compte que ce sujet « était assez méconnu de la part du grand public, avec beaucoup de clichés et de stéréotypes ». Il était donc difficile de parler de leurs engagements si le spectateur n’avait pas les clés de lecture initiales. « Historiquement plutôt marginales, les cultures électroniques ne cherchent ni à être sous la lumière ni à faire partie de la culture dominante, mais juste à exister par la liberté de s’exprimer », détaille-t-elle. En se plaçant comme un intermédiaire qui retranscrit les paroles de ces communautés, la designer s’est alors demandée : « comment est-il possible de réaliser graphiquement et artistiquement la médiation de ces cultures et de leurs engagements sans modifier leur essence ? ».

Le mémoire était l’objet théorique de ce projet de fin d’études, la seconde étape pratique consistait à créer des dispositifs graphiques. Pendant toute une journée, Mathilde Velten a organisé son expérience immersive dans les locaux de son école, en transformant le sous-sol en véritable club afin de représenter « au maximum le percept des cultures électroniques au public ». Ce dernier était composé du jury, d’élèves et de personnes extérieures à l’école.
« Selon Arnaud Idelon [ndlr : critique d’art et journaliste], l’entrée dans un club est constituée d’une succession symbolique d’étapes. C’est exactement ce que je voulais retranscrire : approche du lieu, les vibrations, le son, les lumières, tu sens que quelque chose monte avant d’ouvrir la porte et que la musique explose », note cette fan de disco et de house.
Une expérience graphique immersive
Pour que l’interlocuteur puisse s’approprier le lieu, Mathilde Velten a utilisé beaucoup de médiums, comme des installations ou des objets graphiques interactifs, à l’image d’une foule imprimée en taille réelle. Mais aussi beaucoup de photographies analogues, ainsi que de la vidéo, de la lumière et du son, présentent du début à la fin du parcours. Le “No Pics Policy”, que l’on peut notamment retrouver dans les clubs à Berlin était de vigueur, afin que les participants profitent au maximum de l’expérience dans cette boîte noire, sans leur téléphone, et soient acteurs plutôt que spectateurs.
« J’ai essayé d’embrasser des codes de design informatif pédagogique assez clairs, et à d’autres moments plus libres et expansifs, plus axés sur l’esthétique bruyante et colorée des cultures électroniques », détaille Mathilde Velten. Notamment en se servant des typos emblématiques et des collages style post-punk, ou en utilisant le système de hiérarchie d’information qu’il y a sur le matériel sonore (table de mixage, platine, etc.). « Pour la partie concernant les engagements, j’ai bien aimé me jouer des normes du design graphique, voire de les écarter complètement comme pour l’édition sur la fête libre. Je voulais que mes façons de produire soit en adéquation avec le fond de chaque sujet », s’enthousiasme la passionnée.
Une charte graphique multiple
D’après l’étude de Mathilde Velten, la chartes graphique de ces cultures est vaste et multiple. Comme les designs hyper figuratifs de la disco qui sont très colorés style post-moderne avec des collages, ou ceux de la free party et des raves qui sont souvent plus amateurs, avec des illustrations très foisonnantes et criantes, ou à l’inverse très sobres avec la date, le lieu, les DJs… « Ce qui est transversal c’est l’esthétique futuriste. Comme ce sont des musiques liées à des machines, à de la robotique ou à de l’informatique, il y a beaucoup de codes abstraits vis-à-vis de cette perspective », décrit-elle.

Tentant de représenter la physicalité de la musique électronique avec la typographique du mot “électrophonie”, Mathilde Velten a modifié la lettre O en fonction des BPM des différentes musiques. « Il suit la vibration et devient un ainsi un emblème déclinable à l’infini », conclut l’intéressée.
Le reste du travail de Mathilde Velten est visible directement sur son site Internet.