À voir : une expo photo plonge au cœur de la jeunesse du Barbès des années 80

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Martine Barrat
Le 11.10.2019, à 12h58
04 MIN LI-
RE
©Martine Barrat
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Martine Barrat
0 Partages
Dans le cadre du festival Magic Barbès, FGO Barbara, situé en plein cœur du célèbre quartier parisien, expose jusqu’au 21 novembre les images de la photographe Martine Barrat qui, à 86 ans, n’a toujours rien perdu de sa verve.

Rien ne l’arrête. À 86 ans, la photographe française Martine Barrat semble animée par une énergie impossible à canaliser. Pour s’en rendre compte, il suffit de la voir raconter ses histoires en s’agitant sur sa chaise, explosant de rire et apostrophant ses interlocuteurs comme si elle les connaissait depuis toujours. C’est sans doute ce naturel et cette spontanéité désarmante qui font d’elle l’une des plus importantes photographes de sa génération. En 1971, alors qu’elle vient de s’installer à New York, c’est avec cette même énergie qu’elle décide d’aller filmer les gangs du South Bronx, avec qui elle se lie rapidement d’amitié, dans un décor parfois apocalyptique. « Vous ne pouvez même pas imaginer à quoi ressemblait le sud du Bronx à l’époque. La cheffe d’un gang de filles m’avait carrément offert une paire de bottes militaires parce qu’elle avait peur que je me fasse attaquer par les rats qui se promenaient en bande, » rigole-t-elle aujourd’hui. De cette expérience, Martine Barrat ressortira avec quelques-uns des plus célèbres clichés de l’époque, immortalisant une jeunesse new-yorkaise en plein mouvement, portée par la culture hip-hop en train de naître. Pour résumer son travail, Gilles Deleuze lui dira dans une lettre : « Il me faudrait toute une vie pour écrire sur tes photos. »

Mais si son nom est maintenant pour toujours lié à l’histoire de la ville de New York, la carrière de Martine Barrat ne s’arrête pas à l’horizon des tours du South Bronx. Toute sa vie, au gré des allers-retours entre la France et les États-Unis, la photographe a aussi su saisir une certaine idée de Paris. Alors qu’elle travaille pour le quotidien Libération au début des années 80, elle découvre le quartier de la Goutte d’Or — au nord de Barbès — et commence à photographier les enfants qui l’animent. C’est le début d’une série qui durera des années, donnant naissance à des amitiés s’étalant d’année en année, au fil de ses visites chez ceux qu’elle considère aujourd’hui comme sa famille. « Ce qui m’a tout de suite beaucoup touchée à la Goutte d’or, c’était de voir les enfants heureux qui jouaient tous ensemble, faisant des parties de football avec des bouteilles d’Evian ou construisant parfois des jeux extraordinaires avec des boîtes, des cartons, etc. Ils faisaient aussi des feux, il y avait une vraie joie de vivre. C’est eux qui m’ont séduite. Puis, petit à petit, j’ai commencé à connaître les familles. Ils m’ont tous très bien reçue et à chaque fois que je revenais à Paris, je revenais les voir, » raconte aujourd’hui la photographe. Parmi eux, on compte notamment Mamadou Yaffa, jeune enfant de 6 ans que Martine Barrat immortalise au début des années 80, sur le dos d’un petit cheval blanc en plastique. Depuis, celui qu’elle appelle affectueusement « Mams » a bien grandi et il travaille désormais pour l’association Esprit d’Ébène qui tient ses quartiers dans la rue de la Goutte d’Or. C’est à son initiative que dans le cadre du festival Magic Barbès, FGO Barbara expose jusqu’au 21 novembre prochain les photos prises par Martine Barrat dans le quartier. L’occasion pour certains devenus adultes de se reconnaître sur ces clichés pris il y a des années, et de constater que, quel que soit l’époque, la Goutte d’Or reste toujours un quartier à part.

01
©Martine Barrat

Malgré tout, Martine Barrat ne peut s’empêcher de reconnaître que depuis les années 80 et 90 — quand Barbès vibrait au son du raï (comme nous le racontons dans le numéro 225 de Trax Magazine) — le quartier n’est plus tout à fait le même. Elle tempête : « Barbès a beaucoup changé. C’est comme dans certains quartiers à New York. Tout le monde déménage ici et ça pousse les autres dehors. Des gens que j’aimais beaucoup ont dû quitter la Goutte d’Or, car ils ont été foutus à la porte. Je me rappelle d’une famille extraordinaire qui habitait ici, dans deux toutes petites pièces. Le père avait travaillé pour la France, c’était un harki. Il était très triste, car il ne parvenait pas à obtenir les papiers pour sa femme. Il a fini par partir. Aujourd’hui, on ne voit plus vraiment d’enfants jouer dans les rues de Barbès. » Tout ça n’empêche pas la photographe octogénaire de croire dur comme fer en l’avenir et de refuser de s’enfermer dans un passéisme réactionnaire. Depuis quelques années, elle a d’ailleurs décidé de ne plus prendre ses photos qu’avec son téléphone portable. Finis donc les appareils trop lourds et les pellicules à développer : « Plus personne ne fait ça aujourd’hui ! Avec mon téléphone, je peux tout prendre ! » s’exclame-t-elle tout sourire. Elle sort d’ailleurs l’engin et commence à montrer les quelques images qu’elle vient de prendre dans le quartier. Sur l’une d’entre elles, une petite dizaine d’hommes âgés sont installés devant la terrasse d’un café, à siroter du thé en regardant les pigeons se chamailler sur le trottoir. Elle explose d’un rire tendre : « Non, mais regardez-moi ces papys ! » On n’ose à peine lui dire que ses nouveaux modèles ont sans doute dix ans de moins qu’elle. 

0 Partages

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant