Ils sont une dizaine sur la ligne de départ. Ce samedi 28 septembre, dix monstres de son et d’acier, propulsés par certains des acteurs importants des musiques électroniques, se préparent à faire trembler les murs de la ville. À commencer par ceux du Louvre, jouxtant de quelques mètres le point de départ. Parmi les équipages, Nadsat, le label qui réunit ce jour-là Casual Gabberz, Bamao Yendé ou Voiron ; Technopol, l’association organisatrice, avec Manu le Malin et Boombass (Cassius) aux platines ; la Sacem et son line-up 100 % féminin, dont Louisahhhh et Mila Dietrich ; Kraken Krew ou les Insoumis, le collectif de free party, pour la première fois à la Parade après le drame de Steve. Ses 80 printemps derrière lui depuis quelques jours, l’infatigable Jack Lang était de nouveau présent lui aussi. Un rendez-vous immanquable pour celui qui inspiré de la Love Parade berlinoise, en fut l’un des instigateurs, dès 1997. Et pour la première fois, avec un char aux couleurs de l’Institut du monde arabe, qu’il préside depuis 2013.
L’idée a germé deux mois auparavant. L’ambition ? Mettre en avant cette jeune génération de musiciens électroniques arabes qui réveillent les nuits du Maghreb et de France. Deena Abdelwahed, Filles de blédards, Chkoun is it?, La Hafla, Habibi Love, Habibi Funk, Kabylie Minogue, ڭليثرGlitter٥٥, Arabstazy, Ammar 808, Emel Mathlouthi, Zenobia, Casa Voyageur… Tous portent dans leur musique ce désir d’introduire dans l’électronique contemporaine leurs identités arabes. C’est cette scène qu’il fallait faire défiler à Paris, en cette année de victoire de l’Algérie dans les stades et dans les rues. Et l’ancien ministre de la Culture Jack Lang l’a bien compris. L’Institut du monde arabe, qu’il préside depuis 2013, et organise depuis lors les événements Arabic Sound System, a pour l’occasion fait appel à la rédaction de Trax pour assurer la programmation et coordonner l’organisation. Ce char, Jack Lang l’a voulu comme « un hommage au bâtiment de l’Institut et à ses célèbres moucharabiehs, en les réimaginant sur le modèle d’enceintes de club ». La scénographie a été confiée à Outchesque du collectif OTTO1O et Kellymiti. Résultat, un camion de métal et de couleurs sur deux étages, « sobre, mais joyeux », surmonté de danseurs en foulards et des 27 drapeaux des pays représentés par l’Institut. Plus celui de la France, pour, dit l’Institut, « célébrer le métissage culturel et musical ».
En milieu d’après-midi, après une ouverture de DJ Calcium (aka le président de Trax), la DJ franco-algérienne Paloma Colombe puis le duo Kabylie Minogue terminent leurs excellents DJs sets polyrythmiques sous les applaudissements. Le Tunisien Ammar 808 prend le relai et démarre sans plus attendre un live de boîtes à rythmes et de samples d’instruments traditionnels. Oud, darbouka et zurna se mêlent aux kicks électroniques. Au pied du char, les centaines de danseurs sont rejoints par un nouveau public. Les rythmes s’emballent. Jack Lang est sur le pont, après avoir salué les proches de Steve, venus de Nantes à l’invitation de Technopol. Il est bientôt rejoint par la maire de Paris Anne Hidalgo. Sur le char, entraînés par les danseuses en costumes tradi du collectif Kif Kif Bledi, les deux socialistes se prennent au jeu. Un foulard coloré autour du cou, ils esquissent quelques pas de danse avant de se livrer aux photos de groupes et autres selfies. Le duo de Haïfa Zenobia زنوبيا, coiffés de keffiehs traditionnels, a déjà lancé ses boucles électroniques et chaâbi en live, quand Anne Hidalgo quitte la fête, remerciant les uns et les autres pour la danse.
La jeune DJ marocaine ڭليثرGlitter٥٥ est aux commandes lorsque le char passe devant un Hôtel de Ville en berne. Devant la façade, le portrait de son ancien occupant Jacques Chirac, décédé l’avant-veille. Accoudé à l’une des balustrades, Jack Lang regarde, pensif. Que se dit-il ? De l’autre côté, la Seine défile aussi, de son rythme lent, douché par le soleil. Aujourd’hui, la Parade s’est retrouvée. Nul char n’arbore de marque insolente et agressive. Dans les rues, la jeunesse danse partout, jusque sur les abribus. Les Parisiens sont au balcon. Autour du char arabe, le public semble plus inhabituel qu’à l’accoutumée. Des anciens, des gens d’ici et d’ailleurs, suivent en s’amusant le pas rapide du défilé. Cette musique électronique mâtinée de sons arabes paraît contagieuse, et réunir au-delà des cultures et des générations. Sur un des flancs, un membre de la sécurité, « Algérien » dit-il, est tout sourire quand résonnent certains airs d’antan.
Alors que le défilé aborde son dernier kilomètre, le « prince du raï 2.0 » Sofiane Saïdi prend le micro. Chanteur dont la réputation n’est plus à faire, l’Algérien a fait ses armes dans les cabarets d’Oran. On le présente souvent comme l’un des héritiers des grands du raï. Sur disque, sa musique s’ouvre au funk et aux musiques électroniques, comme il l’a fait avec les groupes Acid Arab et Mazalda. Sur le char, il a cette fois délaissé ses musiciens pour un set micro et platines. La danse électronique et le chant d’Algérie, parfaite synthèse de la journée qui se termine. Quand la procession arrive Place d’Italie, où se mêlent fêtards et gilets jaunes, c’est le son de sa voix chaleureuse et tourmentée qui résonnera encore un peu.