Par Brice Miclet
Pour l’art, tout est matière. En 1972, le président américain Richard Nixon s’envole visiter son homologue chinois Mao Zedong durant une semaine, et ce en pleine guerre du Vietnam, soulignant ainsi l’apaisement des tensions, temporaire, entre les deux puissances. Un acte diplomatique historique qui, treize ans plus tard, inspire au compositeur minimaliste et contemporain John Adams un opéra en trois actes intitulé Nixon in China. Une œuvre en tension, magistrale, loin d’être une satire politique (malgré la forte méfiance de John Adams envers les protagonistes) axée sur la dimension héroïque et charnière de cette rencontre. En scène, sept personnages principaux : d’un côté, Richard Nixon et sa femme Pat, son conseiller Henri Kissinger, et de l’autre Mao Zedong, sa femme Jiang Quing, son premier ministre Zhou Elai, et la diplomate Nancy Tang.

Avec Nixon in China, John Adams prouve qu’il est bien plus qu’un compositeur minimaliste. Cette étiquette, bien que justifiée par sa pièce pour piano Phrygian Gates (1977) et surtout Shaker Loops (1978), écrit pour un septuor à cordes, côtoie une volonté de rendre sa musique plus harmonique, d’embrasser l’influence des big bands des années 1940 et des courants académiques de la première moitié du XXe siècle. Cet éclectisme est symbolisé par Nixon in China, achevé en 1987 et dont la première représentation officielle a lieu au Houston Grand Opera le 22 octobre de la même année. Les réactions mitigées du public, dérouté par le sujet, sa contemporanéité, et le choix de ne pas fournir de surtitre à l’assistance, a laissé place à un plébiscite progressif, jusqu’à faire de cet opéra un temps fort de l’histoire récente du genre.

John Adams s’est ainsi peu à peu détaché de ses compatriotes Steve Reich, John Cage ou Philip Glass, dont il a longtemps approfondi les préceptes, tout en délaissant leur froideur volontaire et répétitive. Il leur privilégie ainsi l’expressivité, afin de revenir à l’héritage de Schönberg, de Ravel ou de Stravinsky. Voici les raisons pour lesquelles Nixon in China incarne, à son époque, une œuvre si singulière. Elle est une réflexion musicale à elle-même, aisément accessible, un trait d’union entre les différentes écoles et les publics, trop souvent opposés dans les musiques savantes. Son opéra le plus célèbre entre donc au répertoire de l’Opéra national de Paris trente-six ans après sa création pour un total de neuf représentations entre le 25 mars et le 16 avril 2023.