Par Anne-Charlotte Michaut
Pendant le premier confinement, Marguerite Humeau a commencé une recherche au long cours autour du pouvoir des « mauvaises herbes ». Elle s’est faite accompagner de dizaines d’experts (botanistes, glaneuses, expert·es du sol, etc.) pour déchiffrer toutes les significations de ces végétaux. Invitée il y a quelques mois à investir l’espace de la fondation, ces plantes sont naturellement devenues les protagonistes du scénario qu’elle a imaginé, main dans la main avec Jean-Marie Appriou, pour construire une « exposition de la renaissance, dédiée à la poésie du végétal, de la fragilité, un hommage au maintenant » selon les termes de Rebecca Lamarche-Vadel, commissaire.

De prime abord énigmatique, le titre du projet renvoie en réalité, comme l’explique Marguerite Humeau, à une « notion à la fois scientifique et poétique », issue du vocabulaire des experts du sol avec qui elle a longuement échangé. Sous « l’horizon organique », la couche que nous voyons au sol, se trouve « l’horizon de surface », où se mêlent mort·es et vivant·es, un espace transitoire de transformation des êtres, considéré par l’artiste comme « un endroit presque mythique, l’endroit de tous les potentiels. » Car il s’agit, avec cette exposition, de rendre hommage à l’invisible, à l’imperceptible, et aux organismes en marge. À travers un parcours en neuf chapitres, ou scènes, des installations végétales, sculptures hybrides ou microarchitectures dialoguent harmonieusement. Rien n’est laissé au hasard dans cette exposition où toutes les œuvres se répondent grâce à une exploitation habile des possibilités offertes par l’architecture modulaire du bâtiment signé Rem Koolhaas, à une scénographie soignée et à un travail des lumières subtil, qui confère une dimension spectrale aux sculptures dont les ombres habitent l’espace.
La collaboration comme moteur de la création
Si au rez-de-chaussée, les sculptures d’êtres hybrides de Jean-Marie Appriou et les vastes installations végétales de Marguerite Humeau cohabitent, l’aspect collaboratif ne cesse de s’approfondir au gré du parcours, avec notamment le somptueux « Jardin de Réanimation », chapitre proposant une série de quatre stèles réalisées à quatre mains. Inspirées de la théorie ancestrale des signatures, code pour comprendre le monde végétal associant des propriétés de plantes à des parties du corps humain, ces stèles sont dédiées à des émotions humaines disparues ou trop fugaces.
Pour réaliser ces œuvres, Jean-Marie Appriou explique qu’iels se sont « beaucoup parlé, beaucoup écrit », qu’iels ont travaillé « par questions-réponses, dans un processus d’aller-retour. » Marguerite Humeau proposait un dessin à partir d’une fleur, qui se matérialisera en cire, puis Jean-Marie Apriou interprétait ces formes pour créer une stèle à partir d’un animal. À propos de ce travail collaboratif, Marguerite Humeau affirme que « ce qui était assez beau était ce principe d’analogie entre la théorie des signatures qui connecte une plante à la lune ou une partie du corps humain, et ensuite le fait que Jean-Marie reprenne ces formes-là et refasse une analogie pour concevoir les stèles. »

Une des grandes forces de l’exposition est cette magnifique collaboration à différents niveaux, qui a challengé les artistes et leur a permis de développer des nouvelles formes et typologies d’œuvres dans leurs pratiques respectives. Le dernier étage propose aux visiteur·euses de découvrir les différentes étapes de recherche et d’élaboration du projet avec la présentation d’un story-board réalisé par Marguerite Humeau, puis, dans une salle extrêmement réussie, un dialogue entre des dessins au pastel de la même artiste et des « croquis » de Jean-Marie Appriou, à savoir des esquisses en volume de petits formats, premières ébauches de formes qui se sont ensuite développées en plus grand format pour les stèles notamment. Au-delà de la coopération entre les deux artistes, cette exposition est le fruit d’échanges avec des centaines de personnes (experts, équipe de la fondation, etc.) et démontre ainsi les infinies possibilités offertes par le travail collaboratif. Car, comme l’affirme Marguerite Humeau, « un des grands challenges de notre ère va être d’être ensemble dans un même flot, un même flux, et de pouvoir rentrer en synergie les un·es avec les autres. » Poursuivant cette dynamique d’ouverture et de collaboration, lors du finissage, le public sera invité à récupérer des morceaux de plantes et fleurs ayant servi aux installations végétales.
Surface Horizon est est à découvrir jusqu’au 5 septembre. Toutes les informations sont à retrouver sur le site internet de Lafayette Anticipations.