À voir : Les stéréotypes des banlieues questionnés par les photos de Mohamed Bourouissa

Écrit par Trax Magazine
Le 09.12.2021, à 11h11
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Entre 2005 et 2008, le photographe Mohamed Bourouissa réalisait Périphérique, une série de clichés shootés dans les banlieues de France parodiant les représentations stéréotypées des quartiers dits « sensibles ». Treize ans plus tard, la série complète est publiée pour la première fois par la maison d’édition anglo-marseillaise Loose Joints et s’accompagne de 60 pages de photos inédites. 

Texte : Maxime Jacob
Photographies : Mohamed Bourouissa

Comment Johannes Vermeer aurait-il représenté les banlieues françaises des années 2000 ? Sûrement à la manière de Mohamed Bourouissa : par une scène de parking, où de jeunes hommes en Air Max et survêtements semblent occupés à conclure une affaire importante, au pied d’un bloc. Leurs regards inquiétants seraient graves et nous accuseraient de les surprendre. Au premier plan, une motocross derby et un pilote hors champ. Et à l’arrière, au travers de la fenêtre de l’immeuble, les silhouettes de deux adolescents qui épient l’événement : pas la scène, ordinaire pour eux, du parking. Plutôt notre présence intrusive à nous qui observons et qui jugeons. 

© Mohamed Bourouissa 2021 courtesy Loose Joints

Le cliché en question est issu de Périphérique, l’emblématique série shootée par le photographe franco-algérien Mohamed Bourouissa (qui avait photographié Jul en 2020 pour la couverture de notre magazine papier) que publie pour la première fois en intégralité l’excellente maison d’édition spécialisée Loose Joints, basée à Marseille et réputée pour ses collaborations avec les photographes Harley Weir, Jack Davison ou Mark McKnight. Shootée entre 2005 et 2008, Périphérique s’inscrit dans un contexte de tension sociale autour de la question des banlieues. En juin 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, propose de nettoyer La Courneuve « au kärcher ». Trois mois plus tard, Clichy-Sous-Bois s’embrase : la mort de Zyed et Bouna, deux jeunes de la cité retrouvés inertes dans un transformateur électrique alors qu’ils tentaient d’échapper à la police, provoque des émeutes dans toute la ville, sur fond de misère sociale, de sentiment d’abandon des pouvoirs publics et d’enclavement du territoire.

Bientôt, ce sont plusieurs dizaines d’autres banlieues à travers la France qui suivent le mouvement clichois. Dans les mois et les années qui suivent, les chaînes d’information rivalisent de reportages montrant la violence des jeunes de cité, effrayants dealers de drogue qui tiennent le bas des blocs et empêchent les habitants de vivre. Les équipes de télévision embarquées avec des patrouilles de police se multiplient et narrent le dur quotidien des policiers confrontés aux gangs. Pour beaucoup de Français, la réalité des banlieues se réduit et se confond alors avec les images diffusées au 20 heures et dans les enquêtes exclusives de 50’ Inside

© Mohamed Bourouissa 2021 courtesy Loose Joints

C’est cette vision des quartiers que questionne Mohamed Bourouissa, en proposant dans Périphérique une représentation parodique et tout aussi construite du quotidien des habitants de banlieue. Artificielles, les scènes shootées par l’artiste moquent les stéréotypes de squat, d’embrouilles, de bandes. On y observe des jeunes inquiétants, mimant le conflit, des attroupements où chaque sujet tient son rôle, incarne une émotion et une position. Pour parvenir à ces images, Bourouissa travaille en collaboration avec eux et réalise des clichés préparatoires, dont certains inédits sont publiés dans cette réédition de Périphérique chez Loose Joints.

© Mohamed Bourouissa 2021 courtesy Loose Joints
© Mohamed Bourouissa 2021 courtesy Loose Joints

Mais bien qu’ils prennent la pose, les jeunes photographiés ne sont pourtant pas des acteurs : ils habitent bel et bien les cités de La Courneuve, de Pantin, de Clichy-Montfermeil, du Mirail à Toulouse, posant au bas de leurs tours ou au milieu de leurs squares. Ils feignent ce que l’on croit savoir de leur vie. Pour composer ses cadres, Mohamed Bourouissa emprunte à la peinture flamande ou aux fresques romantiques d’Eugène Delacroix. Le procédé permet au photographe de donner une place aux habitants des banlieues dans l’Histoire de France, eux qui en sont habituellement exclus. Il a pour effet de remettre au centre ceux qu’on relègue à la périphérie. Et il pose une question évidente : si Delacroix représentait les « émeutes » de 2005, peindrait-il la Révolution française ?

Périphérique par Mohamed Bourouissa, publié par Loose Joints.
www.loosejoints.biz

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