En se ré-appropriant l’héritage jazz, soul et parfois même pop des années 60/70, Ali Shaheed Muhammad, Phife Dawg et Q-Tip ont fait aimer le hip-hop à toute une génération biberonnée au rock des 90’s, qui ne se reconnaissaient pas dans la frange gangsta, revendicative et parfois clinquante du rap, que pouvaient véhiculer les disques et les clips de NWA, Tupac ou Notorious Big. Retour sur les moments forts de cette épopée musicale en cinq samples, du tube de Lou Reed au classique jazzy obscur de Freddie Hubbard :
- Billy Brooks – “Forty Days” (samplé dans “Luck Of Lucien”)
Un sample évident du titre phare de l’obscure Billy Brooks, trompettiste de studio qui a joué avec les plus grands (The Four Tops, The Temptations, Tina Turner, Ray Charles, Dizzy Gillespie) avant de se lancer en solo. A Tribe Called Quest en fait la base de son morceau mythique “Luck Of Lucien”, extrait de l’album People’s Instinctive Travels and the Paths of Rhythm, sorti en 1990.
Les new-yorkais rendent ici un hommage à Lucien Révolucien, discret héros du rap français des débuts, exilé à New York à la fin des années 80, alors que la grande pomme est en train de se prendre en pleine face l’explosion du hip-hop. Membre des Native Tongues (avec Mos Def, Queen Latifah ou De La Soul), Lucien est l’un des premiers à diffuser cette musique en France via les ondes de Radio Nova, il est d’ailleurs mentionné dans un autre classique du genre : “Tout N’Est Pas Si Facile” de NTM, sorti cinq ans après le morceau d’A Tribe Called Quest.
- Ramp – “Daylight” (samplé dans “Bonita Applebum”)
Un classique pour connaisseurs de rare groove, extrait du premier et seul album de Ramp, au titre un brin prétentieux : “Get Into Knowledge”, sorti en 1977. Un disque à (re)découvrir absolument, ne serait-ce que pour la production signée Roy Ayers (le disque contient d’ailleurs une langoureuse cover de son méga tube “Everybody Loves The Sunshine“).
J Dilla se servira lui aussi de “Daylight” dans son remix du “Come Close” de Common en 2003, avec au micro un certain Q-Tip… comme on se retrouve. On croise également ce sample sur le tout premier EP du génial producteur de deep house Max Graef (quand il ne se prenait pas encore pour un jazz man), dans son track “Pedro“.
- Lou Reed – “Walk On The Wild Style” (samplé dans “Can I Kick It ?”)
Si la musique d’A Tribe Called Quest n’a a priori rien à voir avec celle de Lou Reed, l’ex-Velvet Underground et le trio hip-hop ont au moins le point commun d’être de purs produits de New York. Les recycleurs de génie s’approprient l’un des plus gros hits des années 70… pour en faire l’un des plus gros hits des années 90, tout simplement.
Le regretté Phife Dawg déclarait l’année dernière à Rolling Stones : “À ce jour, on a toujours pas touché un seul centime sur cette chanson”. La raison ? Lou Reed s’est réservé tous les royalties, sous prétexte qu’ils avaient samplé SA chanson. Il l’emportera dans sa tombe.
- Freddie Hubbard – Little Sunflower (samplé dans “The Love”)
Peut-être pas le meilleur album, mais il faut se l’avouer : “The Love” élève sévèrement le niveau global de The Love Movement, dernier disque d’A Tribe Called Quest sorti en 1998. Superbement samplé, l’intro de “Little Sunflower” et ses nappes de violons qui donnent des hauts-le-coeur parleront sûrement aux amateurs de house façon deep, puisqu’on retrouve ce même échantillon dans le morceau culte-de-chez-culte de Pépé Bradock, “Deep Burnt“. Passer des années à digger du jazz obscur a parfois du bon.
- Minnie Riperton – “Inside My Love” (samplé dans “Lyrics To Go”)
Dans le genre samples ultra-grillé, “Inside My Love” fait figure de cas d’école, comme “I Wanna Be Down” de Brandy ou “Never Grow Old” d’Aretha Franklin. En effet, on pourrait écrire un livre entier sur ce classique de Minnie Ripperton, manié aussi bien par J Dilla dans le premier album de Slum Village que Jean Jacques Smoothie (dans son seul track marquant à ce jour), Timbaland pour un morceau d’Aaliyah ou encore 2Pac sur “Me Against The World“.
Un morceau qui donnerait des sueurs froides et des gazouillis dans le ventre à une bonne soeur, ici A Tribe Called Quest s’en sert de façon habile et sobre, un des titres les plus réussis de leur classique Midnight Marauders.