Par Théophile Pillault
Le défi était de taille : organiser un premier événement “electro to techno” de grande envergure, dans une petite ville dépourvue de la moindre culture clubbing. Challenge relevé par les organisateurs de Radio Béton, qui proposaient samedi dernier une formule hivernale de leur célèbre événement annuel Aucard de Tours.
Soyons honnêtes : Tours, au même titre qu’un bon nombre de belles endormies du Grand Ouest, est frappée d’un vieux mal français… La ville ne dispose d’aucun club électronique sérieux et établi (même si le jeune RED Club entend bien changer la donne). Ici, pas de lieu de vie nocturne de qualité pour que la jeunesse se fasse proprement les oreilles et vive ainsi ses premières expériences de dancefloor heureuses. Le centre historique compte au mieux une poignée de bars de nuit, dont les deux tiers sont franchement douteux.
Pourtant, quelques vestiges glorieux et certains signes actuels laissent deviner le goût immodéré des Tourangeaux pour les musiques électroniques. Déjà, les free parties de région Centre d’antan – pensée émue pour les activistes d’Infrabass autour de Blois ainsi qu’aux MSP, plus proches de Tours – ont marqué toute une génération. Ensuite, entre 2001 et 2007, Tours constituait un très sérieux bastion drum’n bass : Kolsik, Brusco, Jamalski ou Attila Project y avaient leurs habitudes. À ce jour, Kantyze y poursuit encore son industrieux travail de production.
Aujourd’hui, c’est un projet comme celui des Îlots électroniques qui porte haut les couleurs de la teuf libre et durable à Tours. Leur concept ? Des open-air débridés et gratuits, organisés le dimanche après-midi sur les plus belles pelouses de la ville. La structure a organisé à ce jour plus d’une vingtaine de rendez-vous, et attire à chaque édition des milliers de kids. “L’impeccable travail des îlots, l’engouement qu’ils suscitent en local est très inspirant”, nous confie l’équipe de Rock The House. “Quand tu vois le succès de chacune de leurs fêtes, tu te dis qu’il y a non seulement de la place, mais surtout un véritable besoin en termes de festivals et de grosses soirées ici.”
Une première édition entre drache et strass
Samedi 11 novembre, la première édition de Rock The House aura réuni un peu plus de 2 500 personnes. Mille de moins qu’escompté : “Ce n’est pas le chiffre qu’on espérait mais c’est une première édition ! Il faut que l’on s’installe dans l’esprit des gens, c’est tout à fait normal.” La drache tourangelle – véritable fléau des promoteurs locaux –, le prix d’entrée (près de 35 euros sur place), ainsi que le cadre de l’événement, un méchant hangar loin du centre-ville, ont eu raison de la bonne volonté et du dévouement de beaucoup d’amateurs d’électronique.
Ceux qui ont joué le jeu ont découvert un vaste site couvert, scindé en deux scènes. Les vastes parvis de bitume recouverts de tôle étant impossibles à scénographier dignement, les festivaliers devront se contenter toute la nuit d’une déambulation un peu binaire et simpliste, entre deux espaces : “Trois stages, c’est vraiment le set-up idéal”, nous expliquent les organisateurs. “On espère pouvoir proposer cette configuration sur les prochaines éditions.”
Côté programmation, Radio Béton! avait convoqué pour son premier baroud Agoria, Pantha Du Prince, les deux producteurs house Detroit Swindle, Paula Temple, Arandel mais aussi Møme ou Razorlight, pour – on suppose –, des logiques un peu grasses d’empilement de public et de garanties de jauge… Le véritable opening de la nuit a été confié aux mains d’un gamin de Marx Dormoy : le rappeur Georgio.
Entre ses coteries francs-macs, son centre-ville quasi moyenâgeux, ses bataillons d’étudiants en psycho et son culte immodéré pour Saint-Martin, Tours n’est pas vraiment une ville hip-hop. Pourtant, l’agglo compte un nombre important de B-boys et de MC’s : Dees Chan, Mefisto, Nivek (qui vient tout juste de sortir son nouveau projet), le Kyma, le binôme Chill Bump, Waxo, Ali’N et bien sûr le fils prodigue Biga*Ranx font partie des tentatives ra(gga)pologiques plutôt réussies au niveau local. Aussi, quand Georgio déboule sur scène, il est reçu par un véritable parterre de kids et d’amateurs.
Des pointures jamais vues jusqu’ici à Tours
Des kids certes ravis mais des amateurs peut-être un peu dubitatifs face au set édulcoré mi-pop mi-variet d’un rappeur pourtant monté sur scène avec un t-shirt Exploited… Mais qu’importe, comme Nuit Debout, Rock The House mise sur la convergence des luttes : “Si les gamins qui ont fait le déplacement pour Georgio peuvent en profiter pour découvrir Arandel et le reste du catalogue InFiné, la mission est remplie de notre côté.”
InFiné était représenté cette nuit-là par Arandel – qui aura servi un set spécial hangar très physique, loin de ses délicates incartades mélodiques –, ainsi que par son ancien patron Agoria, désormais à la tête de son nouveau label Sapiens Rec. C’est lui, ainsi que Paula Temple, que sont venus voir les trentenaires de Rock The House. Des pointures jamais vues jusqu’ici à Tours et ses alentours, pilonnant un dancefloor, qui, vers 3 heures du matin et jusqu’au bout de la nuit, était joliment bondé et farci de sourires crampés.
Le grand écart est un exercice qui requiert souplesse et expérience. De Georgio à Møme en passant par Pantha du Prince, Radio Béton! et leur nouveau format ont tenté le grand bain à l’instinct. L’initiative est intrépide, nécessaire et on ne peut que se réjouir que ce genre d’événement revienne entre les mains expertes d’activistes de terrain plutôt qu’à la merci de boîtes de production hors sujet et prêtes à tout sacrifier sur l’autel de la rentabilité.
Long live Rock in the House ! Un travail sur la scénographie, une meilleure circulation du public ainsi qu’une programmation esthétiquement mieux liée devrait enfin installer Tours sur la carte des festivals électroniques qui comptent.
Radio Béton! émet librement, sur les ondes du 93.6 FM. Vous pouvez évidemment retrouver ses contenus online ici. Le Festival Rock The House vous donne rendez-vous l’année prochaine, à Tours : www.rockthehouse.fr