On pousse une porte, puis l’autre. Le froid humide du fumoir en bord de piscine laisse place à la chaleur conviviale d’un public modeste, mais fervent. Il n’est pas là par hasard et ça se sent. Trois semaines déjà qu’Electro Alternativ, 13e de son nom, dissémine les propositions artistiques dans les salles de Toulouse ; certains festivaliers ont enchaîné les soirées techno, house, trance, les conférences et les workshops. D’autres reviennent tout juste d’un Outlook Festival que la météo orageuse a transformé en épreuve de survivalisme. Mais pas de quoi les dissuader de braver les 15 minutes de marche boueuse qui séparent le terminus du métro B de la salle du Bikini, et reprendre ce soir une louche de bass music.
Derrière les platines, AK:Hash jongle avec légèreté entre trap, d’n’b et future bass. Cinquante personnes tout juste lui font face – ce qui n’inquiète en rien l’équipe du festival. Son chiffre, l’association derrière Electro Alternativ, Reg@rts, le réalise tout au long de l’année en organisant les soirées Factory (techno), CODE (bass music), Strictly D’n’B, ainsi qu’une profusion de concerts… Pas de pression, donc, et la liberté de doter cette édition de « belles dates, dont on sait qu’elles s’adressent à un public initié », comme Cabaret Contemporain au Théâtre Garonne ou Oiseaux Tempête au Quai des savoirs pour l’ouverture.
Devant les crash barriers, deux gars se marrent en dabant sur un remix d’A$AP Ferg ; il s’ambianceront tout autant sur les incursions dancehall de Chimpo, la vibe UK house de My Nu Leng et les breaks plus durs de Bad Company UK et Breakage. L’éclectisme assumé du plateau entraîne un flux tendu entre le fumoir et la salle ; les uns ou les autres partent griller une clope quand un dubstep un peu trop cheesy leur pique les oreilles, et accourent dès que résonne la bassline tortueuse de « Mad Night », le dernier Joker sorti il y a tout juste quelques semaines. Les connaisseurs se dévoilent en jubilant, confirmant que Toulouse est toujours un bastion de la bass music.
Le lendemain, une conférence au centre d’arts numériques Bellegarde à 16 heures fait office d’after. Après une table ronde consacrée à la musique électronique en France quelques jours plus tôt, Electro Alternativ convie Gyorg Kurtag Jr., chercheur et compositeur, pour rendre hommage au pionnier de la musique d’ordinateur et membre de l’IRCAM Jean-Claude Risset (1938 – 2016). Dans la semi-pénombre, l’auditoire a bien pris 10 ans depuis la veille et prête l’oreille aux cigales de Sud (1985), une œuvre majeure de Risset diffusée sur un sound-system panoramique.
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Tantôt captivé, pantois ou largué, l’on assiste à un exposé décousu sur les micro-intervalles, les premiers ordinateurs des laboratoires Bell, le glissando et l’effet Doeppler (Ah, Doeplereffekt, ça on connaît !). « La note tend à réduire spectralement un timbre à sa seule fondamentale et l’évolution temporelle à une durée finie et statique ». On s’accroche. Puis vient la récompense, une diffusion rare de l’œuvre Elementa de Risset. Kurtag pousse les potards de sa console, et un arbre se déracine ; la terre s’effrite et se répand ; l’herbe bruisse et des chants ésotériques emportent la salle.
Il reste quelques heures jusqu’au closing d’Electro Alternativ lorsque tombe la mauvaise nouvelle. Ricardo Villalobos, LA tête d’affiche de cette édition, doit annuler sa venue pour raison de santé. Anetha et Rebekah, déjà bookées pour jouer au Bikini le soir même, reprennent au pied levé le créneau du Chilien, 21 heures – minuit sur le parvis du musée des Abattoirs. Et puis, vous savez quoi ? On rembourse tout le monde, et l’événement est désormais gratuit. Un beau geste, afin que la soirée tienne toutes ses promesses – et même d’avantage.
À 20 heures, la place est bondée ; le jeune duo Habb. termine un warm-up assez tech et mental, dernière pensée pour Villalobos. Une salve d’applaudissements, puis Anetha démarre en cinquième. Peak time avant l’heure. La Parisienne livre un set déchaîné, avec un public si réceptif qu’elle se permet même de balancer “Crispy Bacon”. Les dates s’étant faites plus rares depuis les fermetures en 2017 et 2016 de l’Inox et de la Dynamo (le tout nouveau Downtown Factory pourrait reprendre le flambeau), les amateurs de techno redoublent d’enthousiasme. On filera avant de voir Rebekah, que l’on retrouve quelques heures plus tard au Bikini, lui aussi plein à craquer.
L’« after clôture » est sold out, et son plateau 100% féminin achève le festival en beauté. Steffi tempête à 130 BPM avec une dextérité remarquable, d’autant plus appréciable qu’une caméra braquée sur la table de mixage projette par intervalles les gestes des DJ’s sur un écran. La résidente du Panorama Bar livre sans conteste le set le plus musclé et précis de la soirée ; il faudra un temps d’adaptation pour prendre la cadence plus martiale de Paula Temple, qui lui succède. Mélodieuse par-dessus les kicks saturés, elle laisse enfin la place à Rebekah pour un live qui réinterprètera plusieurs titres de Fear Paralysis, son premier LP sorti cette année.
Rien que sur ces deux derniers jours, Electro Alternativ s’est fait une joie de déjouer le format festival en disséminant ses événements, s’adressant à des publics différents sans les forcer à se croiser – plutôt proposer des conférences pointues à tel endroit, sans les lier à des soirées club à tel autre, que de risquer une formule tout-en-un bancale. Se disperser sans s’égarer, voilà le tour de force de cette 13e édition, preuve que la scène électronique toulousaine est loin de s’essouffler. Et que ses publics continuent de répondre présent à l’appel.