Par Gautier Savard
Extrait du Hors-série Trax publié en avril 2020
À son ouverture, en 1967, le kiosque est une camionnette floquée aux couleurs d’Amora. Elle vend déjà des sandwichs et appartient au père Lenert. À son décès, c’est un certain Alain Steinhoff qui reprend l’affaire. Cinq décennies plus tard, la ville compte cinq points de vente avec son nom sur la devanture, dont un situé au cœur de la ville, place Saint-Jacques, là où était stationné le commerce ambulant des débuts. À l’intérieur, un vendeur. Casquette et polo à l’effigie de son employeur, il cherche à quitter Metz pour partir s’installer sur la Côte d’Azur. Mais en attendant, il prépare des sandwichs. Voilà plus d’un an qu’il retourne les saucisses et côtoie ce grill où le gras a pris ses quartiers. La star, ici, c’est le SteinBurger. Pain baguette, steak haché pur bœuf, fromage râpé, oignons grillés et sauce tomate maison. Le tout pour 4 euros 50. D’apparence, il ressemble à la plupart des sandwichs chauds. Rien ne dégouline, c’est propre. Côté goût, on a affaire à de la « vraie viande », dixit l’employé. On serait bien incapable de le confirmer, ni de dire quels sont les « ingrédients secrets » de cette sauce tomate un peu épicée.

Quand c’est la Fête de la musique, les mecs ivres montent sur le toit. On les déloge à coups de balai.
Le cuistot de Steinhoff
Ce soir, il n’y a pas encore foule. « Avec la pluie, on enchaîne plus les livraisons que les clients en direct », lance le cuistot. « Mais en été, c’est noir de monde. Quand c’est la Fête de la musique, les mecs ivres montent sur le toit. On les déloge à coups de balai. » Il mime le geste. « Le cinéma aussi nous amène du monde. Souvent des petits vieux. » Deux minutes défilent. Une sexagénaire se pointe. Elle commande une part de flan, lâche un billet puis commence à partir. Honnête, le vendeur l’interpelle : « Madame, votre monnaie ! » En général, ce sont plutôt les fêtards qui viennent ici une fois leur soirée terminée. Le vendeur en atteste : « Plus l’heure avance, plus les clients me demandent beaucoup de sauce et de gruyère. » Régulièrement, il doit aussi appeler le SAMU, car avec l’ivresse, certains ont tendance à faire des malaises devant la boutique.
Plus l’heure avance, plus les clients me demandent beaucoup de sauce et de gruyère.
Le cuistot de Steinhoff
Un nouveau client vient d’arriver. L’homme déclare n’être venu qu’à cinq reprises en l’espace d’un demi-siècle. « J’viens là parce que j’ai faim. On va moins au kebab parce que la Turquie nous emmerde ! Mais regarde, le pauvre gars qui prépare des saucisses au service du grand monsieur Steinhoff… c’est pas l’progrès ça ! » Un discours qu’emprunte en partie un couple d’une quarantaine d’années. C’est la femme qui parle : « Les frites sont bien meilleures que chez McDo. Je leur ai envoyé un CV, ils ont dit que j’avais trop de diplômes. Tant mieux. Ici, on n’attend pas. C’est rapide et ça ouvre tard. » Puis de poursuivre : « On va manger notre Steinhoff au chaud devant la télé. On ne fait pas comme les autres, on ne va pas en boîte. C’est trop cher. Vous savez, il n’y a que chez Steinhoff que c’est bon. La dernière fois, on a été malades après le kebab. Je suis pas raciste, mais… » Le vendeur encaisse puis, le couple ayant pris le large, offre une dernière anecdote : « Une fois, un papy qui venait de me prendre un sandwich a voulu que je lui rince son dentier. Il venait de le faire tomber. Je n’allais pas le laisser comme ça. Autrement, comment il aurait mangé sa saucisse grillée ? »