À la prod’ : Phazz, le beatmaker qui refuse de choisir entre rap et musique électronique

Écrit par Jacques Simonian
Photo de couverture : ©Philippe Lévy
Le 08.04.2021, à 13h08
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©Philippe Lévy
Écrit par Jacques Simonian
Photo de couverture : ©Philippe Lévy
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Révélé au grand public début 2010 via son compte SoundCloud rempli de morceaux inspirés par la bass music, Phazz a toujours aimé le rap. Deux passions qui l’ont autant amené à faire des DJ sets tout autour du globe, qu’à composer pour Orelsan, Oxmo Puccino, SCH, ou Koba La D

Il y a certaines choses qui sont évidentes. Des moments simples qui ne trompent pas, comme lorsqu’un enfant haut comme trois pommes se dirige naturellement vers un piano : « J’ai grandi au Maroc, ma mère vient de là-bas ; se présente Phazz. À notre retour en France, pendant qu’on visitait notre future maison, mes parents ont entendu des notes de piano. C’était moi qui tapotais dessus. Depuis ce jour je n’ai jamais lâché. » Nous sommes en 95, et depuis Béziers où la famille de Phazz s’est établie, le bambin avance dans la vie, bercé par les cassettes « du bled » de sa mère, et le « rock » de son père. Après un passage au cours d’éveil musical, il intègre dans la foulée le Conservatoire de la ville. De leur côté, ses parents l’accompagnent dans sa passion et lui font découvrir Henri Salvador et Jean-Jacques Goldman. « Quand tu y penses, remarque Phazz, Goldman a toujours été à la fois dans l’ombre et la lumière ». Un indice pour la suite ?

©Yassine Tahar

Fils unique, ses camarades du lycée l’aiguillent dans ses goûts. Avec eux, Phazz découvre les soirées, la musique électronique, les Daft, le rap, TTC, Ed Banger… Du côté du Conservatoire, son changement de cursus est un déclic : « Le parcours classique te forme au métier d’interprète, et je voulais être compositeur. J’étais ouf quand je voyais mes potes improviser et faire n’importe quoi avec leurs instruments. Ce que je désirais vraiment, c’était jouer comme dans les films : comme ces pianistes qui surfent sur leur clavier. » Sans surprise, le jeune homme atterrit dans le jazz, rencontre un prof « incroyable » et passe trois années à « kiffer ». Tout roule, jusqu’à l’obtention du bac et d’un diplôme en jazz donc, deux (premières) certifications qui le font quitter Béziers pour la capitale des Gaules, direction la fac de musicologie.

Retrouvailles & rencontres

Alors que le jeune compositeur pense débarquer dans une ville où il ne connaît personne, il croise un certain Doodle. Depuis l’époque de la maternelle où ils se côtoyaient, les lignes ont bougé. Comme Phazz, Doodle s’est lancé dans la musique. Avec son compère Wagger, ils rappent, et on les aperçoit du côté des Rap Contenders : « Comme ils faisaient du son et que je venais de m’acheter mon premier ordi portable, j’ai commencé à composer des beats sur des logiciels de MAO… C’était laborieux, mais il faut bien se lancer! » En compagnie de ce duo, il se familiarise avec l’editing et l’enregistrement, puis teste rapidement ses « premiers trucs ». C’est à croire que le Sud s’est donné rendez-vous à Lyon, puisque Phazz retrouve d’autres amis, devenus DJ. Avec cette team de sept, ils fondent le True Lyon Crew : un collectif tout-terrain, amoureux de la musique anglaise – drum&bass, dubstep, house, grime…

« On avait tous des spécialités reprend Phazz. Ensemble, on brossait un spectre de la musique électronique très complet. On a donc pu jouer partout dans Lyon. » Pour aller plus loin, le Crew singe Boiler Room et fonde la True Lyon Radio. Une web radio où chaque semaine ils invitent des artistes, connus ou non, jeunes ou pas. Parmi les quelques 150 participants à ces émissions, le compositeur retient les représentants du label de Manchester LEVELZ, Von D, ou encore DJ Flore — première femme française certifiée Ableton. La musique électronique lui tend les bras, mais le rap le rattrape. Et à Lyon, tout tourne autour d’un homme, Jorrdee : « On s’est croisé à une soirée grâce à Doodle et Wagger. On est devenu proche et j’ai rencontré d’autres gars par son intermédiaire, comme Freeze Corleone, qui à l’époque s’appelait Freezer. » Phazz tempère en précisant qu’avec eux, à ce moment, « il n’était pas question de musique ». Et puis en 2012, le rap n’a pas vraiment le vent en poupe : « en jouant Booba en club, tu vidais à coup sûr le dancefloor! »

Puis Soundcloud, puis le monde

À côté du Crew, Phazz bichonne son compte SoundCloud. Plus il publie de morceaux, plus il se satisfait de la DA inspirée de Burial ou XXYYXX. Puis un soir, il tombe sur le profil de Stwo, un autre beatmaker en devenir : « Il me dit d’envoyer un son au label Soulection; une plateforme archi virale à l’époque. Je leur balance mon remix « Me and You » de Cassie. Les boss kiffent. Ils publient le morceau, et en 24 h… tout part en couille! » Le SoundCloud de Phazz passe d’inconnu à incontournable. Les blogs musicaux sont dithyrambiques et les compteurs de lectures s’affolent : le compositeur pète son premier million. Les clubs du monde entier le sollicitent, et Phazz, conquérant, multiplie les DJ-sets. En l’espace de 2 ans, il écume « 25 pays », se balade entre l’Europe, l’Asie, et le South by Southwest américain, où il se produit « 3 ou 4 fois ». Plus DJ que beatmaker ? Pour le moment, c’est une non-question. Encore plus, quand avec son pote Everydayz, ils sortent l’album collaboratif Almeria (2015) ; un projet piloté par les équipes du label Nowadays.

De retour sur terre, à Lyon, Phazz lève le pied et recroise Jorrdee. L’un comme l’autre, ils ont évolué et jusqu’ici, n’ont jamais vraiment travaillé ensemble. Ils rectifient le tir avec Avant (2017), un album où en plus de composer, Phazz enregistre, mixe, et façonne en grande partie le résultat final. Le cœur léger, le beatmaker se voit de nouveau sollicité. Après Soulection, c’est Orelsan qui lui fait les yeux doux : « Quand j’ai publié mon remix de MØ, le média Pigeons & Planes l’a partagé. C’est comme ça qu’Orelsan m’a découvert, et qu’il m’a contacté sur Twitter. Rapidement, je lui ai envoyé des prods. Ça à pris un moment avant qu’il n’arrive à poser dessus : il trouvait qu’il n’y avait pas assez d’espace pour les voix. » Cette relation épistolaire 2.0 prend fin à l’été 2017, moment ou Phazz est invité à rejoindre le rappeur caennais, alors en pleine création de l’album La fête est finie (2017). Au côté de Skread (le Monsieur son d’Orelsan), il signe les compos de « Défaite de famille », « La lumière », « Christophe », et « Dans ma ville, on traîne ». Le disque est certifié disque d’or en trois jours.

Ancienne et nouvelle génération

« De là, ça a été l’escalade ; dégaine Phazz. Orel’ s’est rendu compte que je jouais du piano, donc il m’a demandé de l’accompagner sur scène. Puis il m’a proposé de faire ses premières parties… J’étais comme un dingue! »Embarqué sur les routes avec l’équipe, il n’y a pas de place à l’oisiveté. En même temps qu’ils sillonnent la France, tout ce beau monde compose Épilogue, réédition de La fête est finie. De cette expérience unique et formatrice, Phazz retient les amitiés qu’il a nouées avec le groupe, particulièrement celle avec le bassiste Eddy Purple. C’est ce dernier qui présente le compositeur à Oxmo Puccino. C’est également avec lui que Phazz coproduit l’intégralité de La nuit du réveil (2019), album pluriel de cette légende du rap français.

Remis de la scène, le beatmaker est alerté par l’un de ses amis : « Koba la D est en séminaire pour son disque L’Affranchi, déboule! » Ni une ni deux, Phazz se précipite dans la villa où le rappeur du Bat’ 7 s’est installé. Dans le strict nécessaire qu’il amène avec lui, il se souvient d’une prod’ : « Quand j’ai fait écouter « RR » à Koba, il l’a tout de suite réservé. Une fois le morceau fait, Il tourne le clip et met tout ça en ligne. Mais à cause d’une phase de Koba, Internet s’enflamme et Def Jam supprime le titre en moins de 24h. J’étais dégoûté. »

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, il enchaîne : « Après un silence de plusieurs semaines, on me demande de renvoyer les pistes. Puis, deux jours plus tard, je reçois un nouveau coup de fil : “Au fait, le morceau ressort… Ah oui, aussi, il y a Niska qui s’est rajouté !” La suite, on la connait : “RR” est devenu le classique “RR 9.1.”. » Histoire de bien enfoncer le clou, SCH transforme dans la foulée une autre composition de Phazz en classique : « R.A.C. » pour “rien à cirer”, premier extrait de l’album ROOFTOP du Marseillais.

DJ Mehdi en héritage

Que ça soit avec Leto (« Bonbonne »), Alonzo (« Ça a changé »), le collectif Lyonzon, Georgio (pour qui il a coréalisé le prochain album « Sacré »), ou tout récemment avec Vladimir Cauchemar, Seth Gueko et Freeze Corleone (« Les professeurs »), Phazz ne se satisfait pas que du rap. Ses collaborations avec Woodkid, Burna Boy, Camélia Jordana ou Ibeyi, nous pousse à demander au principal intéressé s’il ressent le besoin de voir autre chose ? « C’est naturel en vérité ; balaye-t-il. Puis si tu écoutes bien mes prods, tu remarqueras que j’ai toujours essayé de toucher d’autres esthétiques. Par exemple, avant de travailler avec Burna Boy, j’avais déjà testé le dancehall avec Jorrdee, sur le morceau “Arrête”. » Dit comme ça, difficile de ne pas penser au regretté DJ Mehdi. Car s’il en existe bien un qui a fait fi des frontières entre les genres, c’est évidemment lui ; allégorie de sa vie. Plus dur encore de pas se souvenir de Mehdi, quand on écoute le morceau « Kway » (et son sample) avec l’excellent Gros Mo ; bastos de son album collaboratif « Hijo » (2019), deuxième volet de son union avec Everydayz.

Outre l’idée de valider Mehdi comme étant l’une de ses influences importantes, Phazz insiste sur un point : « Déjà sur Almeria, il y avait des esthétiques de synthés pas très loin d’un « Signatune ». D’accord, les BPMs ne sont pas les mêmes, et le titre de DJ Mehdi est house, mais il y a quand même ce truc samplé, un peu soul. Puis nous sommes une génération biberonnée à Ed Banger, et… 50 Cent par exemple. Et Mehdi, c’est l’un des seuls à incarner ces deux aspects. » Au bout du compte, Phazz a fait le choix de ne pas choisir, comme Mehdi, avant lui. Loué soit son souvenir, qu’il continue ainsi d’inspirer l’avenir.

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