Par Xavier Ridel
« Tout a commencé là-bas, dans la ville qu’on appelle Maisons-Alfort ; comme dirait Solaar. » Nodey s’introduit en ces termes quand on lui demande de présenter son parcours, sa musique et The Nodey Process, le documentaire que lui ont récemment consacré les réalisateurs Mael le Hurand, Pierre Tam Anh Le Khac et Francis Cutter. À travers ce court film, on découvre la mue d’un artiste dont le style et la personnalité s’affinent au fil des années, passant du statut « de célibataire nomade, SDF » à celui de « résident de Saigon, marié et jeune papa. »
Paris, le disque d’or et la descente
Mais revenons un peu en arrière. Né dans une famille d’origine vietnamienne, Nodey grandit en banlieue, entre deux cultures. Avec tout ce que cela comporte. « Etre asiatique en France, c’est avoir le statut de bon immigré, sage et sympathique ; mais il n’empêche qu’on est la communauté face à laquelle on se permet le plus facilement des blagues racistes. Rajoutons à cela qu’on est quasi inexistants dans l’espace médiatique, culturel et politique français. Finalement, grandir en tant qu’asiatique en France, c’est cool, mais c’est aussi frustrant car on a moins de possibilités pour s’exprimer. »
Jeune, Nodey écoute aussi bien de la variété française que de la musique traditionnelle, des chants bouddhistes, révolutionnaires ou encore du Cai Luong, un opéra vietnamien. Puis il découvre la musique éléctronique et le rap. Le musicien se met rapidement à faire des prods inspirées de DJ Mehdi, RZA ou encore Just Blaze. Principalement connu pour ses performances en battles ou ses intrus pour le Youtubeur Cyprien (le clash contre Cortex, c’est lui), il commence aussi à travailler pour des rappeurs.
Un jour, Youssoupha tweete : « Putain la prod du nouveau Flynt m’a renversé!!! Mais qui est ce Nodey???? ». La connexion est embrayée. Les deux artistes travaillent ensemble et Nodey réalise enfin son rêve : obtenir un disque d’or. Ensuite vient, en quelque sorte, la descente.
« Gamin, j’ai grandi avec le « Hit machine ». Il s’y déroulait régulièrement cette cérémonie où une jolie fille sexy montait sur scène après la performance d’une star de la musique, et lui remettait un disque d’or. Le public applaudissait et tout le monde semblait heureux. C’est ça le disque d’or, à travers mes yeux d’enfants. J’en suis un peu revenu. C’est comme tout : quand t’es ado, tu te dis qu’avoir le bac c’est un accomplissement de fou. Des années après, une fois entré dans la vie active et la vie d’adulte, tu te rends compte que le bac, c’est naze. Les certifications, c’est pareil. »
« Un mélange de mélancolie et de fierté »
Nodey sent qu’il arrive au bout d’un cycle. Lui et Youssoupha se disent d’ailleurs que le boom-bap est voué à prendre la poussière dans les limbes de l’underground. Alors l’artiste sort un deuxième EP solo, Vinasounds, à la pochette rouge et or. Pas d’équivoque : c’est un retour aux sources. Le disque emprunte des samples issus de vieux vinyles hérités de sa famille et les mixe à des beats electro / hip-hop. L’ensemble se fond parfaitement dans cette définition de la musique vietnamienne que l’artiste lâche dans The Nodey Process : « un mélange de mélancolie et de fierté ».
« J’ai l’impression que les Vietnamiens aiment le romantisme et la poésie, ce qui expliquerait la mélancolie. Quant à la fierté, c’est peut-être dû à l’histoire du pays, qui s’est fait envahir et coloniser de nombreuses fois – que ce soit par les Chinois, les Français, les Japonais ou les Américains. Cette fierté vient peut-être de ce coté David, qui résiste à Goliath. »
Le bouillonnement de Shanghai
Après de brèves expérimentations en compagnie de Hyacinthe (notamment sur le superbe album Sarah), Nodey sent à nouveau qu’il arrive au bout de quelque chose. Paris représente pour lui un Vieux Monde en passe de s’écrouler, une société épuisante. Direction Shanghai. Là-bas, le jeune musicien se retrouve face à une ville en ébullition et à un monde qui évolue à la vitesse d’une F1. Dans The Nodey Process, il affirme, sous le regard des drones : « J’ai l’impression qu’en Occident, on arrive peut-être au bout d’un cycle, qu’on raconte davantage un déclin. Ici, les artistes ont une raison d’exister. Il se passe quelque chose. »
Nodey observe, encore et encore, bien calé dans sa position de « mec assis sur un banc public ». Et ajoute : « Peut-être que tout ça donne une idée de ce que sera l’Occident. En Chine, l’architecture et les mentalités bougent très vite ».
C’est donc à Shanghai que l’artiste entame sa (dé)construction. Il se met à trainer avec les Asian Dope Boys, l’un des collectifs les plus intéressants et provocants de l’art contemporain chinois, et trouve un nouveau souffle à travers l’observation des religions et philosophies orientales, de la scène underground et des changements technologiques. Au fil des rencontres, des voyages et des réflexions, son album prend forme. Il décide enfin de retourner au Vietnam. À Saigon, dans cette ville où les gens chantent dans la rue sans discontinuer, la parenthèse finale du disque sera marquée par une autre rencontre déterminante.
Saigon : les racines retrouvées
Par le biais d’une résidence, Nodey est mis en contact avec la chanteuse Suboi (aujourd’hui devenue la rappeuse la plus en vue du Vietnam). Une complicité très forte s’installe entre les deux musiciens. Dès les premiers instants de leur collaboration, filmés dans The Nodey Process, on a la sensation d’assister à la naissance de quelque chose. Et leur premier morceau réalisé ensemble, « Đôi Khi <3 », cristallise d’ailleurs cette proximité.
« L’un des premiers titres qu’on a crée ensemble a été “Đôi Khi <3”. Ce qui est présent chez elle, et que je partage, c’est une fierté d’appartenir et de représenter la communauté vietnamienne ; tout en ayant une ouverture sur ce qui se passe à l’extérieur du Vietnam (et notamment en Occident). C’est ce qui fait qu’on s’est rapidement bien entendu. On partage des similitudes dans nos identités artistiques, une couleur vietnamienne mêlée à une grille de lecture plus globale. »
La suite de cette collaboration appartient à l’histoire personnelle des deux musiciens. Mais derrière l’enfant qui orne la pochette du disque, smartphone à la main, Nodey semble enfin avoir trouvé sa voie, et sa propre radicalité.
Aussi bien sur le plan des visuels (notamment les clips, réalisés par l’artiste Tianzhuo Chen) que de la musique, le projet : – ) oscille constamment entre spiritualité et technologie de pointe, traditions et ultra-modernité. Et sur un plan plus personnel, l’album ressemble en bien des points à sorte de naissance pour Nodey : à un pont jeté entre la crise d’identité et l’âge adulte, le passé et le futur, l’Orient et l’Occident.
Le documentaire The Nodey Process sera projeté dans le cadre du festival Musical Écran au cinéma l’Utopia à Bordeaux le 8 septembre à 21h.