À la prod’ : Benjay, le beatmaker français qui a conquis la scène belge

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Cones
Le 29.11.2021, à 10h54
05 MIN LI-
RE
©Cones
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Cones
Il y a dix ans, Benjay découvrait le beatmaking grâce à un jeu vidéo distribué dans les paquets de céréales. Désormais connu pour ses collaborations avec Damso, Caballero & JeanJass ou PLK, il est en train de s’imposer comme un poids lourd de la production rap francophone.

Par Brice Miclet

Il se pourrait bien que Benjay soit le plus belge des beatmakers français. Implanté au sein des scènes rap bruxelloise et hexagonale, il a désormais à son arc une volée de flèches de premier choix, carquois qu’il s’est composé en misant sur le partage de compétences et sur le culot. Il faut bien cela pour percer dans le milieu. En point d’orgue de sa jeune carrière, on l’a récemment vu collaborer sur de nombreux titres du dernier album de Damso, QALF. Mais voici le poids lourd qui cache un pedigree déjà bien rempli. Originaire de Guadeloupe, ayant grandi principalement en Seine-et-Marne à Savigny-le-Temple, Benjay a d’emblée profité de son héritage pour en imprégner sa musique. « Longtemps, j’allais en Guadeloupe pendant deux mois chaque année. Là-bas, la trap est beaucoup plus influencée par les États-Unis qu’elle ne peut l’être en France. On entend également des rythmiques tirées du dancehall, ça m’a construit musicalement. »

La musique est un jeu

Devenir beatmaker n’a rien d’une sinécure. Il faut travailler, travailler et travailler, pas de secret. Et plus on commence tôt, plus les automatismes et la maîtrise se font sentir. Benjay a débuté à l’âge de 14 ans, à l’époque où les garants du son trap mondial se nomment Lex Luger, Kenny Beats, Cardiak ou encore Jahlil Beats. « J’allais sur le site HotNewHipHop et je regardais les noms des producteurs, ça m’a tout de suite intéressé. J’écoutais des sons en voiture et je me demandais : ‘Mais comment ils font ça ? Comment est-ce qu’on enregistre cette musique ?’ C’était mystérieux, presque magique. » La musique est un jeu. Ou plutôt plusieurs jeux.

©DR

Déjà, Benjay avait découvert les bases de la composition musicale grâce à Kellogg’s Hit Studio, un logiciel pour enfant disponible dans des paquets de céréales et qui a marqué une génération d’amateurs de petits-dèj’. Sur sa PSP crackée, il installe Beaterator, un jeu vidéo développé par le producteur Timbaland et édité par Rockstar Game. Et puis, alors qu’il est en colonie de vacances, il observe l’un des animateurs composer des beats sur son iPhone. La première fois qu’il touche à un logiciel de MAO digne de ce nom, c’est en 2012. Forcément, c’est FL Studio qui trouve grâce à ses yeux.

C’est un classique chez les beatmakers : un jeune s’y met, charbonne comme pas deux, et finit, progressivement, par attirer l’attention de quelques seconds couteaux du rap. Mais pour Benjay, les choses sont allées un peu plus vite que prévu. « En 2013 ou 2014, j’avais déjà placé quelques sons sur des mixtapes. Mais par l’intermédiaire d’un éditeur, mes productions sont arrivées aux oreilles d’Alonzo. Là, ça a tout changé. » Le rappeur marseillais est déjà un nom important, signé chez Def Jam. Pour sa mixtape Capo Dei Capi, il sélectionne deux instrus de Benjay et en fait les morceaux «Zouker » et surtout le single «Finis-les ». Nébuleuse, profonde et frontalement américaine, la patte sonore de Benjay s’affirme. « Quand je leur disais que la musique était de moi, mes potes ne me croyaient pas. Je sortais de nulle part. »

Aller à l’essentiel

On pourrait croire que la machine s’emballe aisément après un tel coup. Pas vraiment. « Les artistes ne se sont pas mis à me contacter du jour au lendemain. Par contre, ces placements m’ont permis de contacter des rappeurs. C’est ça qui a réellement changé, j’avais une sorte de carte de visite. Quand j’ai contacté Rim’K, Fianso ou Jok’air, j’ai eu des réponses parce que j’avais ces instrus à mon actif, elles me différenciaient des autres. J’ai mis plus d’un an à le comprendre et à m’en servir. » Pendant cette année, il bosse ses sons. Lui qui a alors tendance à surcharger ses productions apprend à épurer, à élaguer et à ne garder que l’essence même d’une mélodie. « Il suffit de deux ou trois conseils pour passer un énorme cap. Et ces conseils me servent encore aujourd’hui. Regarde, je viens de placer le son “Bénéfice” sur le nouvel album de Smeels. Je l’ai faite à New York, aux écouteurs. Pendant des heures, j’ai cherché un instrument à rajouter. Mais je ne trouvais rien. Alors, je l’ai laissée comme ça, il n’y avait besoin de rien d’autre finalement. C’est quelque chose qu’il faut avoir en tête. » La prod’, effectivement, vaut le détour.

Grâce à cette mentalité et à une liste de placements qui ne cesse de s’accroître, Benjay finit par devenir prisé. Damso et son album Lithopédion, Rim’K avec les titres « Contrefaçon » et « Le Sens des affaires », PLK, Maes, Laylow, Lefa, Caballero & JeanJass, Naza, Chilla… Les collaborations s’enchaînent, l’influence des États-Unis diluée dans un son bien ancré en France. Mais dans la tête de Benjay, il y a un artiste avec qui il souhaite à tout prix retravailler : Damso. « En 2019, ça faisait un an que j’essayais de l’avoir en session, et on a fini par trouver un créneau pour une journée de studio. » Ce jour-là, le rappeur star, le réalisateur de l’album, Prinzly et le musicien Saint DX sont de la partie. Ce dernier a déjà raconté dans un article pour Trax cette journée folle qui a accouché du tube « 911 » et du morceau « MEVTR ».

La session d’une vie

Benjay confirme : « En lisant l’article, j’ai découvert que Saint DX était hyper stressé sur le moment. Mais qu’il se rassure, moi c’était pareil ! Damso avait apprécié certaines de mes drums. Quand j’arrive au studio, il me demande si j’en ai d’autres. En deux secondes, je télécharge toutes les drums possibles et imaginables. Il me dit : ‘Démarre une rythmique.’ Je fais : ‘Euh… Ouais ok frère…’ Je ne sais pas vraiment ce que je fais, je sors un truc, je le guette, il me dit : ‘T’inquiète mon gars continue, c’est bien.’ Je n’avais pas droit à l’erreur. À un moment donné, je change quelques placements de kicks, ça rendait pas mal. Mais je ne comprenais pas où on allait. Et puis, Saint DX prend le synthé Yamaha DX7, c’était lourd. Je savais qu’on allait trouver quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Il a pianoté pendant un bon moment, mais dès que Damso a dit : ‘Ok c’est ça !’, ça n’a pas changé, c’est devenu ‘911’. » Mais il reste encore du temps avant de finir la session, et le meilleur reste à venir. « On a commencé à travailler sur le morceau ‘MEVTR’. Damso nous explique : ‘J’aimerais bien mettre des voix indiennes, un truc dans ce délire au début du morceau.’ Je commence à chercher des samples de voix dans FL Studio sans réaliser qu’ils sont en train d’enregistrer le son de mon Mac. Ce que tu entends au début du morceau, c’est moi en train de chercher des sons, en direct. Il n’y a rien de séquencé, rien de modifié. C’était un truc de fou. » À force de satisfaire le boss, Benjay obtient le droit de revenir travailler au studio. Il finira par coproduire quatre titres supplémentaires de QALF : « FAIS ÇA BIEN », « POUR L’ARGENT », « BXL ZOO », et surtout l’incroyable « LIFE LIFE ».

Aujourd’hui, il est un beatmaker comblé, capable de travailler pour des gros poissons mais aussi pour des projets plus confidentiels. En 2021, il a par exemple collaboré avec Caballero et JeanJass pour leurs albums respectifs, mais également pour les talentueux Josué (« Survis », en featuring avec Captaine Roshi), Le Croc (« Nana », « Bloody ») ou encore sur le magnifique premier album de Squidji avec « Cicatrices ». Il attend de retourner aux États-Unis, là où il a eu l’occasion de partir en tournée avec le rappeur Lil Tecca avant la crise sanitaire. « On a fait Los Angeles-Portland en une journée, ça nous a pris seize heures. Je conduisais parfois le bus, je me rendais utile. On a fait des sessions studio avec Murda Beatz, c’était fou. » Mais en attendant, il a d’autres projets en France, comme l’envie de monter une structure pour produire de jeunes artistes. Ça prend du temps, mais à 24 ans, Benjay n’en manque pas.

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant