À la prod’ : Amine Farsi, le Parisien derrière Freeze Corleone, Da Uzi ou So La Lune

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
Le 25.07.2022, à 11h14
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Le beatmaker parisien a sculpté ses productions dans les longues et froides nuits de Montréal, pour ensuite ramener sa patte sonore menaçante dans le rap hexagonal. Aujourd’hui, il collabore avec Freeze Corleone, Ashe 22, So La Lune ou encore Da Uzi dans des tons martiaux, tirant souvent sur la drill, et faisant de lui l’un des architectes sonores les plus demandés du secteur.

Par Brice Miclet

La note de piano est sombre. Puis, l’arpège menaçante se dessine, légèrement modulée, furieusement économe. Il faut bien trente secondes pour que la drum viennent enflammer le tout et laisser place à la voix de Freeze Corleone : « Négro, j’arrive d’en haut comme si j’descends en rappel / J’attends l’feu vert, j’attends l’appel, j’fais l’taf, j’prends l’cadavre et j’prends la pelle ». Le titre « Tarkov » du rappeur du 667 est chirurgical. Il est aussi l’œuvre d’un beatmaker maniant à merveille ces ambiances ténébreuses, parvenu à tirer son épingle du jeu dans le milieu grâce à son attrait pour la noirceur et l’acoustique. Amine Farsi, Parisien pur jus, est aujourd’hui derrière des productions de Gazo, Ashe 22, YL, Da Uzi ou ISK. Son dernier fait d’arme en date : avoir signé trois instrus sur le premier album de So La Lune, Fissure de vie. Entre bien d’autres.

Un passe-temps devenu obsession

Son parcours est relativement atypique. « Je suis venu à la musique sur le tard, avoue-t-il. Après mon Bac, je suis parti étudier au Canada pendant un an et demi, à Montréal. Là-bas, il peut faire très froid, je pouvais rester longtemps chez moi à ne rien faire. Alors, quand je suis tombé sur les tutos de beatmakers américains, j’ai voulu essayer. » Ce qui devait couper l’ennui devient vite une obsession. Quand Amine Farsi fait quelque chose, il le fait à fond. « J’ai vite compris que je préférais faire des prods plutôt qu’aller en cours. Et puis, au Canada, je me plonge dans les discographies d’artistes importants comme Future, Drake, PartyNextDoor… J’étais plutôt du genre à écouter les rappeurs parisiens comme Mister You. Là, ça m’a ouvert. J’ai acheté un petit ordinateur portable à 80 dollars sur un groupe Facebook de l’université, j’ai mis FL Studio dessus, et c’était parti. Bon, au début, c’était vraiment pas fou (rires). »

L’obsession grandit donc très vite. Amine Farsi ne met pas des mois à se projeter sérieusement dans le beatmaking. Au bout de deux semaines, c’est plié, il ne va plus en cours et y consacre l’essentiel de ses journées. « J’ouvre les oreilles, je comprends petit à petit à quel point le beatmaker est important. Zaytoven, les prods de Chief Keef… J’ai vu qu’un mec comme Metro Boomin était capable de faire des choses incroyables avec deux doigts. Et là, c’est comme quand tu achètes une voiture : une fois que tu l’as, tu la vois partout dans la rue, tu la repères. Et bien c’est pareil, quand j’entends de la musique, j’écoute avant tout la prod. J’analyse, j’essaie de comprendre. » Mais il faut bien rentrer en France au bout d’un moment. Du Canada, Amine Farsi ramène une passion et une volée d’ébauches de prods.

Chérir les éléments acoustiques

Il vend sa première instru au rappeur parisien Brulux, qui en fera le morceau « L’Angoisse » en 2017. « Ça s’est fait par hasard, je l’ai croisé en bas de chez lui à Belleville, je lui ai filé la prod, point barre. J’étais content, mais ça n’a pas lancé ma carrière du tout, ça n’a pas eu de grand impact, personne ne m’a appelé suite à ça. » C’est surtout par son travail avec Lasco, puis surtout Da Uzi, qu’il parvient à faire rayonner son nom dans un milieu qu’il apprivoise. Sur l’album L’Architecte du rappeur parisien, il signe quatre prods dont celle de « Culiacan », en featuring avec Mister You. La rythmique y est singulière, dansante, tout en gardant quelque chose d’instable, de frontal. Il connecte également avec le collectif 667 de Freeze Corleone, Osirus Jack ou Zuukou Mayzie. « Un jour, je me suis retrouvé dans le même studio que Freeze, et on a directement composé la prod de ‘Tarkov’, comme ça. Ça partait sur de très bonnes bases (rires). Mais je ne fais pas partie du 667. J’y suis affilié parce qu’on travaille régulièrement ensemble, parce que c’est des frérots, mais c’est tout. Ça fait plus de dix ans que le collectif existe, bien avant que je ne commence la musique. »

Je ne sample rien, jamais. Je compose tout à la souris.

Amine Farsi

Dans Tarkov, il y a donc ce piano soigné et sans équivoque. Voici l’élément fétiche d’Amine Farsi, celui avec lequel il parvient le mieux à transmettre la lourdeur. « Je ne sample rien, jamais. Je compose tout à la souris. » Pourtant, les subtilités mélodiques sont légion dans ses productions. « C’est parce que je peux passer des heures à décaler légèrement des notes pour donner l’impression d’entendre un piano joué aux mains. Il faut que ça sonne humain, que ça sonne vrai. » C’est une science, et Amine Farsi la maîtrise parfaitement. Alors qu’une grande partie des beatmakers s’orientent vers les synthétiseurs parfois eighties ces dernières années, lui continue de manier les sonorités acoustiques. Il y a dans son travail quelque chose de foncièrement français. L’influence de la variété sur les rappeurs hexagonaux n’est plus à prouver, lui se retrouve parfaitement dans cette esthétique basée sur les pianos. « C’est le côté variet de la street, ajoute-t-il en riant. Et ça peut être très mélancolique. J’ai toujours envie de rendre un son assez triste, à tel point qu’il faut parfois que je me retienne et que je change de registre volontairement. » Mais son ADN est bien à chercher dans ces contrées musicales.

« Mettre un visage sur les prods »

Amine Farsi a également cette particularité de signer de nombreuses productions sur un même album. L’Architecte de Da Uzi, donc, mais aussi l’excellent Nessun Dorma de Tawsen et Sur Ecoute de Fresh LaDouille en 2021, sur le projet commun Riyad Sadio de Freeze Corleone et Ashe 22, deux collaborateurs réguliers, en 2022… C’est comme cela qu’il aime fonctionner. « Ça n’est pas une stratégie, c’est surtout que je suis dans l’humain avec ceux avec qui je travaille. Puisqu’on a une bonne connexion, quand ils sortent un projet, je suis dessus. Quand tu as de bonnes relations avec les artistes, ça se ressent sur leurs albums. D’ailleurs, je n’aime pas le terme ‘placer des prods’. Je fais des sons avec des artistes, point. La plupart du temps, quand j’arrive au studio, je n’ai pas de prods. On se pose, on discute, on parle de musique, on se demande ce qu’on veut faire, et on démarre. Ca doit faire deux ans que je n’ai pas placé une prod par mail. Je travaille en session, en face-à-face. » Et dans le beatmaking français d’aujourd’hui, ça n’est pas si courant.

Depuis la sortie de l’album Riyad Sadio, Amine Farsi semble définitivement installé dans ce milieu concurrentiel, même s’il réfute l’esprit de compétition entre beatmakers. « Comme dans tous les domaines, il y a des gens qui peuvent chercher à te mettre des bâtons dans les roues. Mais je ne suis pas là-dedans. Je déteste travailler dans ces conditions. Ça me braque et je ne peux pas faire de musique. Ça ne fonctionne pas. » En mai 2022, il sort son premier projet sous son nom, sobrement intitulé FARSI. Il y convie des rappeurs habitués à poser sur ses prods : Freeze Corleone, Fresh LaDouille, Da Uzi, Ashe 22 et Le Risque. Une marque de respect prouvant la valeur d’un beatmaker qui devrait faire partie des architectes du son rap français des années à venir. « Les gens ont mis un visage sur mes prods, ils savent qui je suis, et ça change tout, » conclut-il.

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