C’est un projet qui pouvait difficilement mieux tomber. Après d’interminables mois faits de confinements, de distanciation sociale, de gestes barrières, d’isolation et de solitude, le trio d’amies formé par Anaïs Carayon (fondatrice du magazine Brain), Anaïs Dupuis et Cécile Simon propose un podcast dont le titre sonne comme bouée de sauvetage : « I’ll Never Be Alone Anymore ». Pourtant, le propos n’a ici rien à voir avec la pandémie. Réalisé par Fanny Martin, ce voyage audio emmène l’auditeur loin de l’agitation du reste du monde, sur l’île de Lesbos, perdue dans la mer Égée. C’est là-bas que la poétesse grecque Sappho écrivait ses vers débordant d’amour pour les femmes durant l’Antiquité. Pour lui rendre hommage, une communauté lesbienne s’est installée dans les années 70 sur la plage de Skala Eressos, au Nord-Est de l’île. Ce sont ces femmes à qui ce documentaire audio donne la parole, pour comprendre un peu mieux comment s’organise la vie sur place et quelles sont les raisons qui les ont poussées à tout plaquer pour rejoindre Lesbos, loin de l’homophobie qui règne parfois dans leurs pays d’origine.
« Le titre de ce podcast vient du fait que certaines des femmes qui sont venues s’installer à Skala Eressos pensaient vraiment être les seules lesbiennes au monde avant d’arriver sur place, » expliquent les créatrices du podcast. Au fil des interviews et des témoignages enregistrés sur place (entièrement en anglais mais faciles à comprendre), on comprend que pour beaucoup des membres de cette communauté, le voyage jusqu’à Lesbos était avant tout un moyen de repartir à zéro, de connaitre un nouveau départ. Car à Skala Eressos, les journées sont rythmées par des activités simples et récurrentes : de longues séances de nage collective, des matchs de volley sur la plage au soleil couchant, ou des fêtes qui se prolongent tard dans la nuit au Flamingo, le bar du coin. Un mode de vie qui renvoie par certains aspects aux théories de l’écoféminisme et tisse discrètement un lien entre l’exploitation de la femme et l’exploitation de la planète.
Au delà de ses personnages et de ses thématiques centrales, I’ll Never Be Alone Anymore séduit aussi par son atmosphère sonore paradisiaque où se mêlent le chant des cigales, le bruit hypnotisant des vagues et les bribes de discussions entre amies. Signée par la percussionniste Lucie Antunes, la musique participe aussi grandement de ce tableau idyllique en distribuant aussi quelques clins d’oeil au passage. « Dès le début, nous savions que nous voulions des choeurs pour accompagner tout ça. C’est un hommage assumé au film Portrait de la Jeune fille en feu de Céline Sciamma, » explique Anaïs Carayon.
Le podcast raconte aussi l’évolution de cette communauté qui peine parfois à attirer les plus jeunes générations. « La société est plus ouverte aujourd’hui, il y a d’autres endroits où aller », explique l’une des habitantes de Skala Eressos. Pour autant, alors que la pandémie a réactualisé les désirs de retour à la nature chez les plus jeunes, la communauté de Skala Eressos pourrait trouver un nouveau souffle. En témoigne la séance d’écoute de I’ll Never Be Alone Anymore qui s’est tenue à deux pas de la plage. « Ce jour-là, c’était surtout les plus jeunes qui étaient présentes. Ça été un moment très émouvant. Certaines riaient, d’autres pleuraient. Même si elles le savaient déjà un peu, peut-être que ce projet les a aidé à réaliser l’importance de cette communauté », explique Anaïs Carayon. Sélectionné pour le prestigieux Tribeca Film Festival ainsi qu’au Hear Now Festival, I’ll Never Be Alone Anymore est aussi disponible sur la plupart des plateformes de streaming.