Vous sortez aujourd’hui votre cinquième EP de productrice. Pourtant, vous avez débuté dans la musique comme chanteuse…
À une époque, je me suis sentie complètement perdue dans l’industrie musicale. J’allais d’une session d’enregistrement à une autre, j’écrivais des paroles qui ne me correspondaient pas en tant qu’artiste ou qui étaient interprétées par d’autres. Cette frustration m’a poussé à me mettre à la production. Je voulais reprendre le contrôle sur ma musique, sur mon art. Le chant me renvoie à cette mauvaise période de ma vie. J’ai préféré le faire passer à l’arrière-plan pour le moment, et laisser la musique parler pour moi.
Il n’y a pas de chant sur cet EP, mais une utilisation marquée du sample, notamment de discours…
Les vocaux, les sons de mon quotidien, que ce soit un documentaire que je regarde, les bruits du trafic, ou de la foule dans un club, ce sont des textures qui m’inspirent beaucoup. Et sampler les mots des autres était un moyen de m’exprimer sans que ça vienne de moi directement. Ça me permet d’établir un dialogue avec l’auditeur, car c’est essentiel pour moi que ma musique dise quelque chose.
L’EP débute d’ailleurs par un sample très significatif, pouvez-vous nous en parler ?
C’est l’interview d’un DJ important de la scène queer house de New York dans les années 80. Je faisais des recherches sur les origines et l’évolution de la house et des lieux queers, qui sont largement liés. Je voulais dire quelque chose au début de l’EP pour lancer la conversation. C’est aussi le message du titre : Every Body Is Welcome [tout le monde est le bienvenu/chaque corps est le bienvenu]. C’est l’idée que je défends, l’inclusivité. Cela renvoie aussi à l’artiste que je suis : cet EP est une célébration des espaces queers et de la house music, qui m’ont permise de me trouver moi-même en tant que femme queer.
Sur un de mes morceaux favoris de l’EP, “Avant Garde”, on peut aussi entendre Laurie Anderson, une artiste, compositrice, performeuse, elle fait tout ! Elle ne se laisse emmerder par personne, elle a foi en ce qu’elle fait et elle ne s’en excuse pas. Ce genre de femmes incroyablement fortes, vivaces, c’est une immense source d’inspiration dans ma vie que je tenais à mettre en avant dans cet EP.
On entend régulièrement cette idée d’un dancefloor utopique. Mais comment aller au-delà de cet idéalisme pour en faire un véritable lieu de changement ?
C’est loin d’être le cas partout, mais des lieux à Londres ont mis en place des initiatives de safe spaces pour s’assurer qu’il y ait toujours quelqu’un à qui s’adresser si on se sent mal à l’aise. Et ça marche vraiment bien, mais dans une petite minorité de lieux. Il faut que ces initiatives se répandent partout. Je pense que l’idéalisme peut devenir réalité si les gens sont bien sensibilisés, et par les bonnes personnes. Ne pas se sentir en sécurité sur le dancefloor d’un club, c’est perdre le droit de s’exprimer. Danser avec ses amis, sur de la bonne musique, je ne connais rien de plus libérateur. C’est le dancefloor qui m’a offert cette liberté que je n’avais pas avant. Il faut qu’elle se répande au-delà de ce nombre restreint de clubs et de lieux, qu’elle soit partout. C’est idéaliste parce que ça risque de prendre du temps, mais je pense vraiment que c’est possible et que ça le devient de plus en plus grâce au dialogue, grâce à l’engagement de gros promoteurs ou de lieux importants. Comme d’habitude, ces idées viennent de l’underground et doivent maintenant être adoptées par le grand public.
Ce nouvel EP sort sur Femme Culture, un label que tu créais il y a trois ans. Pourquoi avoir choisi ce nom français ?
Non seulement ça renvoie à la femme, mais “femme” [prononcé à l’anglaise, “fem”] a aussi une connotation au sein de la culture queer, qui renvoie à l’identité féminine d’une personne, qu’elle soit homme, femme ou autre. Le label avait vocation à soutenir les artistes femmes, ou qui se sentent comme telles, et plus particulièrement la communauté LGBTQ+. Au fur et à mesure de notre évolution en tant que label et collectif, nous allons au-delà de l’identité “fem” pour accueillir tous ceux qui peuvent être considérés comme une minorité, les personnes racisées, les personnes non binaires, tout le monde. Tout est parti de ma volonté de reprendre le contrôle de ma musique et de ma carrière en produisant, en montant un label, pour finalement former une communauté autour des idées d’inclusivité et de diversité. C’est un lieu ouvert à l’expression de tous.
De quelle façon le label milite-t-il pour ces idées ?
Nous sortons une compilation annuelle avec UN Women, HeForShe x femme culture, ouverte à tous, et qui participe à ce combat pour l’équité à travers les arts. C’est notre éthos. Le même qu’on applique pour les soirées qu’on organise, et que partagent les artistes que nous produisons. Pour l’année prochaine, nous avons prévu des sorties signées par certaines de mes productrices favorites comme BADSISTA et Ariel Zetina.
Paru aujourd’hui, Every Body Is Welcome est disponible à l’écoute et à l’achat en suivant ce lien.