Un studio, des micros, beaucoup de vinyles et une pause déjeuner en musique : A Deep Groove, c’était 1994. Du lundi au samedi de 12h à 14h, DJ Gregory, DJ Deep et Alex from Tokyo nous ont offert pendant un peu plus d’un an leurs sélections house et techno, toujours orchestrées par un seul mot d’ordre : le groove. Trois collègues, mais surtout trois amis qui, malgré leur courte expérience à la radio, resteront soudés et en contact pendant plusieurs décennies. Aujourd’hui, à l’occasion d’une date exceptionnelle au Macki Music Festival le 29 juin, les trois compères se retrouvent sur scène pour montrer aux “jeunes” le flot d’antan, sans oublier l’excellente musique produite ces dernières années.
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Cette reformation du trio A Deep Groove vous trottait dans la tête depuis un moment ?
Alex from Tokyo : J’avais joué pour la première fois avec l’équipe de La Mamie’s à la Ferme du Bonheur, en septembre dernier. Ça s’était très bien passé et à la fin de la soirée j’ai discuté avec Victor de La Mamie’s. On a discuté de nos passés, de nos carrières et de nous trois, A Deep Groove. Les membres de La Mamie’s étaient très intéressés par un plateau spécial avec nous et de fil en aiguille… C’est comme ça que ça s’est fait.
DJ Gregory : A Deep Groove, c’était une sélection de nouveautés house music et techno venues des États-Unis, mais pas seulement. Ces dernières années, il y a une sorte de « revival » de cette décennie, avec cette culture d’aller digger des vieux disques pour ensuite les partager et avoir cette sensation, peut-être, de ce que pouvaient être les 90’s. La différence avec A Deep Groove, c’est que c’est un « collectif » au sein duquel on a suivi en direct l’arrivée et l’évolution de cette musique, c’est une période qu’on a eu la chance de vivre. On a une autre façon de voir tous ces disques, on a vécu leur sortie, on connait leur histoire, ce ne sont pas des disques que l’on rencontre sur Discogs en diggant à droite à gauche. Même si c’est génial aussi comme nouvelle culture ! Je suis par exemple amusé, quand je vois des jeunes jouer des face B, de les entendre me dire ensuite que c’est ce qu’ils imaginent avoir été l’esprit des nuits à NY/Chicago de l’époque. Alors qu’en 1994, c’était la face A qui était surtout jouée ! Aujourd’hui, ce qui est très sympa avec le Macki Music Festival, c’est qu’on va être dans le reflet d’une époque, combiné avec ce que l’on trouve d’intéressant en 2018 pour en faire un joyeux mélange !
DJ Deep : C’est vrai que j’ai l’impression qu’on a vécu une époque très enthousiaste avec un vrai mélange musical, il y avait plein d’influences qui n’étaient pas antinomiques, au contraire. On a, je pense, cette sensibilité et cette curiosité-là qui pourra être retranscrite dans notre musique. Même si, à l’époque, la couleur de notre quotidienne sur Radio FG ressortait dans l’ensemble surtout house et garage ; on allait de grands classiques à de la techno, et c’est ce qui nous plaisait dans la musique.
A Deep Groove ça a duré 1 an et demi, puis vous vous êtes séparés. De quelle façon avez-vous gardé contact ? Pourquoi ne pas avoir réalisé des projets en commun plus tôt ?
Alex from Tokyo : Déjà parce qu’on est amis avant tout ! On est toujours resté en contact même si on habitait dans trois villes différentes, on a construit un lien fort.
DJ Deep : Oui, on se connait depuis tellement d’années, on a vécu une époque ensemble, on est des amoureux de la musique et on n’arrête pas de s’appeler pour se faire écouter des mix, on partage nos avis.
DJ Gregory : On se nourrit artistiquement les uns des autres, en bons potes passionnés qui se sont rencontrés chez le disquaire. On s’était déjà dit « on pourrait faire ci, faire ça… ». Mais on n’a pas trouvé le ton juste, on n’a pas forcément eu envie d’être dans cette déferlante, on veut que ça soit naturel. Aujourd’hui on est heureux de combiner de nouveau nos trois univers.
DJ Deep : Maintenant que la house s’est bien établie, aucun d’entre nous n’avait l’obsession de jouer. Je trouve que ce qui est génial, c’est cette émulation artistique qu’on a entre nous, avant tout.
Alex from Tokyo : Finalement c’est très organique, on s’est retrouvés un peu plus ces dernières années. Ce désir de se retrouver revient encore après que chacun ait exploré ses projets personnels.
Comment avez-vous vécu le “creux” qu’a connu la house vers la fin des années 2000 ?
Alex from Tokyo : À cette époque, j’étais à New-York. Effectivement, après le 11 septembre, la fête avait pris un grand coup, il y avait quand même plein de bonnes choses mais tout avait quelque peu rétréci. On ressentait un « ralentissement ».
DJ Gregory : Est-ce un creux ou une simple étape dans l’évolution du mouvement ? Un mouvement musical, c’est 2 ou 3 ans, puis il y a en général un sursaut, comme le rock par exemple. Les fans de rock te diront que le sursaut c’était 1956-59 et qu’après autre chose est arrivé. L’émergence de la techno, c’est une urgence musicale, un regard de la société qui évolue et c’est au sein de cette évolution qu’il va y avoir des innovations. En effet, comme toutes les musiques qui se démocratisent, le mouvement peut sembler un moment s’aseptiser ou les nouvelles générations s’en lassent peu à peu. Après tout, on n’aime pas écouter la musique de son père. On arrive donc au milieu-fin des années 2000, la minimal cartonne en Europe, et la house semble plus ennuyeuse et va donc perdre son sens premier. C’est toujours un ping-pong entre l’Europe et les États-Unis. En effet il y a eu un « down » : aujourd’hui, la musique américaine est peut-être un peu moins intéressante même si on y trouve encore de très bons disques.
DJ Deep : Entre 1986-1990 en gros, il y a eu tellement de choses, beaucoup de créativité avec Derrick May par exemple, beaucoup de choses avaient été dites. Après c’est allé par vagues. Personnellement, la techno m’inspirait moins, elle devenait trop violente, j’en avais marre quand on animait A Deep Groove. Mais si la fin des années 2000 a été plus calme pour la house, c’est également l’arrivée du disque de Ben Klock avec une nouvelle techno assez funky. Je pense que c’est difficile d’établir un creux en tant que tel.
Ce fameux ping-pong entre le vieux continent et les US, Alex, ça t’inspire quoi ?
Alex from Tokyo : Le Japon et Tokyo ont toujours été ma maison, il y a toujours eu une scène très forte et très connectée. Beaucoup plus tôt qu’à Paris, d’ailleurs. On avait le club Space Lab Yellow à Tokyo qui fut marquant à l’échelle du pays entier ! C’est intéressant de voir que selon les pays, les courants et les vagues sont différents et finalement, on navigue à travers tout ça.
Aujourd’hui, on assiste à l’émergence des webradios, c’est quelque chose que vous suivez ?
Alex from Tokyo : Bien sûr, j’en écoute plusieurs !
DJ Deep : Je n’écoute plus trop la radio, plutôt des mix. C’est vrai que j’ai plus le même plaisir à écouter Nova ou Radio FG.
DJ Gregory : Pareil que Cyril, la radio aujourd’hui a moins ce côté « rendez-vous ». Avant pour une émission de radio, tu amenais ta cassette à telle heure pour enregistrer dans le studio. C’est ce qui a donné toute l’envergure d’A Deep Groove, c’était le charme du lunch time mix ! Aujourd’hui, il y a moins cette dimension-là, mais ça va avec l’évolution des technologies.
Pour vous, ce fameux groove, ce truc qui nous pousse tous à danser, c’est quoi ?
Alex from Tokyo : Pour moi c’est le côté live, c’est l’âme du truc !
DJ Deep : Oui, c’est vrai, je pense que c’est l’émotion que tu mets dans ton set, faut pas être trop mécanique. J’ai vu il n’y a pas si longtemps une vidéo masterclass en production réalisée par Boiler Room. Kenny Dope, la moitié de Masters at Work, explique comment il fait ses drums. Sûrement le truc que j’ai toujours voulu savoir parce que ce mec est un tueur, il en est le champion ! Moi je torture Alex et Greg avec mes loops sans intérêt depuis 25 ans et quand j’écoute les mix des autres je me dis : « Oh la vache, ça bouge ! » J’ai donc voulu connaitre son secret. Dans cette vidéo, il prend un vieux disque hollandais datant du milieu 90’s, The Good Men, qui a marqué une génération même s’il n’est pas forcément du meilleur goût, et il avait envie de le « re-jamer ». Il a coupé le morceau en 4 parties, et il a trouvé 14 accords de percussions différents de manière très spontanée, et pour moi, le groove c’est ça. C’est se laisser aller là où on veut aller, c’est ces petites variations qui vont faire groover un public. Tu vas voir, Greg, il avait la nouvelle MPC. Tu vas voir la vidéo, tu vas vouloir l’acheter. Moi je pense qu’à ça depuis ! (Rires)
DJ Gregory : Je regarde ça tout de suite.
Qu’est-ce que vous comptez nous proposer lors de votre set ?
DJ Gregory : Ce qu’on va proposer, c’est la musique que l’on a connue et vue évoluer. Aujourd’hui il y a un vrai accès à toute cette musique, mais ça peut être accablant, c’est plus difficile de se constituer une sensibilité propre. Et c’est ça qu’on aimerait transmettre, cette curiosité construite autrement. Bien sûr, on n’a pas envie de faire du revival ! C’est ringard de vouloir être dans une vie totalement 90’s vingt ans plus tard. Ce qui était dans les 90’s y reste, c’était un reflet d’une société à un moment donné.
DJ Deep : Je rejoins Greg, je crois que le but n’est pas de voir trois vieux combattants qui imposent leur regard, aucun de nous n’est dans cette optique. Personnellement, je n’ai jamais acheté autant de disques de ma vie qu’aujourd’hui, on aime beaucoup ce qui se fait de nouveau. Mais malgré tout, il y a une culture acquise différemment dans ce qu’on fait, et on essaye de transmettre ça à notre modeste échelle. C’est comme une empreinte qui filtre la manière dont on voit les choses.
DJ Gregory : J’aimais bien le fait que les disques à l’époque avaient une vraie longévité. Chaque disque avait une naissance, une maturation et un sens associé : la sortie, la promo, le remix qui vient plus tard… On vibrait sur le disque parfois six mois d’affilés dans les clubs, et on en mangeait jusqu’au prochain disque ! Aujourd’hui tu peux télécharger 500Go de musique en une journée et de ce fait, c’est beaucoup plus difficile d’établir un classique qui aurait marqué toute une génération.
DJ Deep : Les tubes d’une scène musicale ne vont pas être ceux d’une autre scène aujourd’hui, c’est aussi plus cloisonné, segmenté.
Alex from Tokyo : En fait, notre point commun entre DJ’s de notre génération, c’est que l’on partage une bonne quantité de disques dans nos collections.
Le Macki, c’est un beau cadre… C’est quoi vos endroits favoris ?
DJ Deep : Le Rex, bien évidemment, qui n’a pas jamais perdu de sa grandeur !
Alex from Tokyo : Le Yellow à Tokyo ! Bien qu’il ait fermé il y a une dizaine d’années, il reste tout de même le club au Japon qui a eu un tel impact que tout le pays s’en souviendra encore longtemps, et moi également.
DJ Gregory : Il y avait le Boy aussi !
DJ Deep : Ah oui, où tu nous faisais ta fameuse danse du pirate !
Ils rient.
DJ Gregory : Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, tout le monde dansait comme ça à l’époque ! Un truc un peu… 88, quoi ! Les gens n’étaient pas tournés vers le DJ, le DJ était important, bien sûr, mais on l’apercevait, les gens dansaient surtout entre eux. DJ, c’est aussi un métier qui a changé, on ne peut pas le nier.
Alex from Tokyo: On va leur redonner le goût de la danse et du groove à tous ces jeunes !
Retrouvez A Deep Groove au Macki Music Festival le samedi 30 juin. Pour plus d’infos, rendez-vous sur le site du festival.