“808”, le film : les racines de la dance music

Écrit par Trax Magazine
Le 09.04.2015, à 11h09
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Écrit par Trax Magazine
Après une première bande-annonce il y a de ça deux ans et une avant-première au festival SXSW de 2015, le film-documentaire simplement intitulé 808 s’était fait très discret. La semaine dernière, heureusement, il est revenu faire parler de lui avec une confirmation de sortie pour cette année.

Produit par You Know Films, Atlantic Films et Arthur Baker (dont vous pouvez retrouver l’interview dans le numéro d’avril 2015 spécial légendes) et réalisé par Alex Dunn, ce véritable trip culturel nous fait revivre plus de 30 ans de musique, rythmés par la mythique Roland TR-808. Depuis le séminal “Planet Rock”, produit par Baker en 1982, jusqu’au hip-hop et la musique électronique, le film affiche un casting de rêve : Pharrell, Phil Collins, Lil Jon, Afrika Bambaataa, Norman Cook (Fatboy Slim), Rick Rubin, Diplo, Goldie, Richie Hawtin, Damon Albarn, New Order, 808 State, Todd Terry, 2ManyDJ’s, Armand Van Helden, Felix Da Housecat, Tiga, A Guy Called Gerald…

Initialement prévue pour l’été dernier, la sortie mondiale du documentaire est finalement annoncée pour ce printemps 2016, révèle les sites américains Deadline et Thump. Il sera exclusivement disponible via iTunes et Apple Music. “Être présenté par Apple Music comme le premier documentaire musical narratif est très gratifiant” déclare le français Alex Noyer, producteur exécutif du film et passionné de musique à l’origine de ce projet faramineux. Nous l’avons rencontré.

Interview par Arnaud Wyart en avril 2015

Rencontre avec Alex Noyer, producteur exécutif du film 808

D’où vient cette idée d’un film sur la TR-808 de Roland ?

C’était il y a trois ans, autour d ‘un déjeuner avec Arthur Baker et un acteur anglais. On discutait de notre film New-York Influence City. Et on en est venu à parler de musique, de machines, pour en arriver à la 808. À l’époque, je cherchais un sujet et très vite, j’ai eu un déclic. Un film qui parlerait de l’héritage que laisse cette boîte à rythme légendaire, au-delà de l’aspect technique. Comment la 808 a tout changé pour le hip-hop et la musique électronique. C’était une idée fantastique.

“Comment la 808 a tout changé pour le hip-hop et la musique électronique. C’était une idée fantastique.”

Vous êtes partis filmer un peu partout dans le monde. Un pari risqué non ?

On a d’abord fait un test à Miami en 2012, pendant la Winter Music Conference. Effectivement, je voulais être sur d’avoir une bonne histoire à raconter. Paul Oakenfold, Questlove, Fatboy Slim, Jellybean Benitez, Tom Silverman… On les a tous rencontrés et ils étaient tellement enthousiastes que l’on s’est dit : « OK, on fonce! » Je suis allé chercher des fonds et on est parti à Los Angeles, New York, Bruxelles, en Finlande et au Japon, le pays de Roland. Le tournage a duré trois ans, ce qui est assez exceptionnel.

808

Comment avez vous réussi à avoir toutes ces pointures au générique ?

On a quand même eu beaucoup de chance. Déjà, la 808, c’est un vrai un sujet de passionnés. Pour les artistes, c’est plus motivant. On avait rien à leur vendre et eux non plus. Après, Arthur Baker, qui co-produit le film, a un réseau assez sensationnel. Et puis notre associé, Matt Jarman, avait des connexions pour Phil Collins. Grâce à notre accord avec Atlantic, on a aussi pu avoir les Beastie Boys. Au final, on s’est retrouvé avec 55 interviews.

Les Beastie Boys Les Beastie Boys

“Des histoires qui racontent comment le son de la 808 a influencé la musique ces 30 dernières années.”

Des histoires qui racontent comment le son de la 808 a influencé la musique ces 30 dernières années. On parle de hip-hop, de la musique électronique, mais aussi de pop, avec Marvin Gaye et Phil Collins. Phil Collins, le batteur par excellence, qui nous a dit que depuis « No Jacket Required » jusqu’à Genesis, il utilise une 808 sur tous ses albums pour supporter sa batterie. Parce que la 808 n’a pas un son de vraie batterie. Il nous a dit qu’il aimait ces sonorités un peu bizarres qu’elle émet. Une grosse histoire pour nous !

Phil Collins Phil Collins

La 808 a pourtant été un échec commercial. Comment s’est-elle retrouvée dans autant de morceaux ?

Le son. Beaucoup d’artistes sont tombés d’accord là-dessus. C’est comme si d’un seul coup, on avait remplacé les batteurs par une machine. Et d’ailleurs, c’est un peu ce qu’il s’est passé. Mais le fait est qu’elle n’avait pas du tout un son naturel, contrairement à la LinnDrum, du coup elle n’a été commercialisée que pendant deux ans. Seulement 12 000 exemplaires existent. C’est devenu un instrument très rare. Par contre, ce son extraterrestre s’est retrouvé dans les bons studios, au bon moment.

“Seulement 12 000 exemplaires existent.”

Et par pur hasard, comme l’explique Rick Rubin dans le film. En plus, elle était programmable, ce qui était vraiment nouveau. Des producteurs comme Arthur Baker ont su exploiter ses possibilités et ils se sont mis à faire des rythmiques ultra dansantes et puissantes. C’était le son idéal pour le hip-hop et la musique électronique. Même aujourd’hui, beaucoup d’artistes continuent de l’utiliser. Sauf qu’ils se contentent de charger des samples. La plupart n’en n’ont jamais vue une en vrai.

Arthur Baker avec Ikutaro Kakehashi (Roland) Arthur Baker avec Ikutaro Kakehashi (Roland)

Vous avez contacté Roland pour le film ?

Oui et ils nous soutiennent. Par exemple, on a été au Japon pour essayer de savoir vraiment pourquoi la 808 s’est arrêtée au bout de deux ans. Sa sonorité étrange n’est pas la seule raison… On a trouvé la réponse mais je ne peux pas la divulguer (rires). Ça sera une grosse surprise pour beaucoup ! Et puis, ils nous ont donné beaucoup d’archives. Il faut aussi savoir qu’aucune 808 ne sonne comme l’autre. Certaines sont absolument parfaites et d’autres non.

“Aucune 808 ne sonne comme l’autre.”

Il y en a une dans le film, qui vous suit partout…

C’est la mienne. La mascotte. Je me la suis procurée symboliquement au début du tournage. Elle a fait tous les voyages avec nous. Avec elle, on a refait « Planet Rock », entre autres. Elles est passée dans des mains légendaires (rires). La 808, c’est une beauté, noire et jaune, très flamboyante. Ce qui est rare pour ce type de machine. Il n’y a qu’à regarder la 909… Décidément, il y avait quelque chose de spécial et d’unique autour de cette boîte à rythme. Comme si elle était faite pour marquer les esprits…

Alexander Dunn, Alex Noyer et sa 808 Alexander Dunn, Alex Noyer et sa 808

On peut parler de légende ?

Oui. Et pour plusieurs raisons. Déjà, personne ne l’attendait. Comme je te le disais, elle n’avait même pas le son d’une batterie. Par contre, elle envoyait du lourd. Et elle a été utilisée de manière totalement inattendue. Par exemple, sur « Paul Revere » des Beastie Boys, Adam Yauch et Rick Rubin la font tourner à l’envers. Même Marvin Gaye, le chanteur de soul qui n’avait jamais gagné un Grammy, en gagne finalement un avec un morceau qui est certainement le plus froid de sa carrière. « Sexual Healling », c’est juste sa voix, un orgue et une 808.

Et puis, c’était un son tellement particulier… Quand les mecs ont commencé à bien la maîtriser ce qu’ils appellent le full decay, c’est à dire le fait d’allonger le son du kick pour avoir une basse énorme, ça a donné toute la culture Miami Bass, entre autres. Des types comme Pretty Tony. Même un mec comme Goldie, plutôt connu pour sa drum n bass, a une grosse culture Miami et il nous parlait de ces voitures avec des speakers énormes et ces basses qui faisaient exploser les sound systems. Encore aujourd’hui, les kicks ultra longs sont légion en hip-hop et en electro. Il faut dire que c’est un son tellement électrisant…

Pourquoi avoir choisi Alexander Dunn pour réaliser le film ?

Alexander est surtout connu pour son travail de post production, sur des clips video, et il bossait sur notre contenu musical ces dernières années. C’est son premier film. Il vient plus du hip-hop et de la drum n bass. Mais sa culture musicale est tellement vaste que lorsqu’on lui a proposé l’idée, il a foncé, avec l’envie de ne pas simplement faire une encyclopédie sur la 808. Le résultat aurait été trop saccadé. Dans le film, morceau après morceau, on rentre dans une mentalité, dans une véritable culture.

Au fait, il y a David Guetta aussi…

Beaucoup de gens ont été surpris par la présence de Guetta dans le film. Mais il ne faut pas oublier son passé, la période du Palace, du funk et de la disco. C’est un mec très cultivé. Et son enthousiasme pour le film est tout à son honneur. Le voir au coté de mecs comme Afrika Bambaataa ou Guest Love, ça ne dénote pas. Ils sont tous passionnés et super sympas. Tu leurs parles d’un truc, les mecs sont directs. De toute façon, le sujet les intéresse ! D’un autre coté, on a eu plein de demandes étranges, notamment parce que les gens pensent que le film est consacré à Pharrell. Ces mecs s’en foutent de la 808. Sinon, je suis content d’avoir Jori Hulkonnen. Beaucoup l’ont oublié. Mais ce mec est responsable, avec une 808, d’avoir lancé la carrière de Tiga. Dans une chambre d’hôtel à Montréal, ils en avaient une et ils ont fait « Sunglasses At Night ». C’est le morceau qui a changé leur vie. Ça a aussi lancé cette mode de mettre du son 80’s sur de l’electro. Ils en ont quand même ont vendu 250 000 copies.

Vous avez essuyés des refus de la part de certains artistes ?

On n’a pas réussi à avoir tout le monde. Egyptian Lover et Kanye West par exemple. Certains n’étaient pas disponibles pendant le tournage. Et puis d’autres ont simplement dit non ! Finalement, on a eu de vrais passionnés. Parce que c’est avant tout un film de passionnés.

Après l’avant-première mondiale, quelle est la suite des évènements ?

J’espère une sortie mondiale cet été. Il y aura aussi un lancement sur les différentes plateformes en ligne car les documentaires n’ont pas une grande espérance de vie en salles malheureusement. D’ici là, le film va tourner dans les festivals à travers le monde. On veut motiver notre audience et générer ce mouvement culturel qui célèbre la 808. Le film est une expérience d’immersion audiovisuelle et une histoire que l’on prend avec soi. Parallèlement, Atlantic Records s’occupe de la B.O. Elle sera lancée au même moment avec des surprises et bien sûr les morceaux qui sont dans le film. Avec ce projet, nous voulons ouvrir la 808 à un public qui la vénère déjà ou à un autre, qui la découvre. Et puis, l’expérience ne se limite pas au film… Suivez-nous en ligne et attendez-vous à des annonces folles dans les prochain mois.

808

808, produit par Alex Noyer (You Know Film), Craig Kallman (Atlantic Records), Arthur Baker et Alexander Dunn. Ecrit par Alexander Dunn et Luke Bainbridge. Sortie prévue pour cet été.

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