72 heures dans la divine comédie du festival Château Perché

Écrit par Paul Herincx
Le 05.09.2016, à 16h35
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Écrit par Paul Herincx
En une année et trois éditions, Château Perché a réussi à insuffler un nouveau vent électronique en région Auvergne. A l’échelle de la France, le festival se démarque par une programmation originale et pluridisciplinaire, des formats horaires XXL, et ce dans des bâtiments classés. Retour sur le dernier assaut des 13, 14 et 15 août au château de Ravel, que les organisateurs résumeront à bons mots comme « une gigantesque pièce de théâtre ».

Photos : Maxime Fante
Vidéo : Edouard Hartigan

Acte 1 – La conquête du château

Après Charezon en août 2015 et Busset au printemps dernier, l’ancienne forteresse royale de Ravel (XIIe siècle) sera à son tour la maison des festivaliers. Ou plutôt des « perchés », comme se plaisent à les appeler les organisateurs du festival.

A la gare routière de Clermont, les perchés qui ont choisi de se rendre au château en navette sont accueillis par un membre de l’organisation vêtu d’un combo kilt/t-shirt/béret et d’une mini-boule à facettes autour du cou. « Vous êtes prêts pour 72 heures de festival ? Le trajet devrait durer environ 40 minutes, à Ravel la température extérieure est de 32°, pas de nuages à l’horizon, je vous ai préparé une petite sélection pour le trajet. » Le bus démarre aux rythmes des claps d’un morceau de Chicago house, quelques minutes plus tard, on trace au milieu des champs de tournesol sur fond de « Paris Latino ». A l’entrée de la forêt qui mène au domaine, la police et ses cerbères fouillent de fond en comble les carrosses des « perchés » en quête de substances abracadabrantes.

Grosse claque visuelle lorsqu’on pénètre dans l’enceinte du festival. L’équipe organisatrice s’est brillamment débrouillée pour repenser toute la scénographie en trois jours suite à un arrêt préfectoral ne lui permettant pas d’investir l’intérieur du château (comme c’était le cas lors des deux précédentes éditions dans des lieux différents). Les coins chill sont de vraies chambres de méditation, entre tissus, bois et végétation (des cours de yoga y sont d’ailleurs délivrés). Depuis le parvis du château, une vallée s’ouvre jusqu’à la chaîne des volcans d’Auvergne qui se dressent en arrière plan.

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Deux des cinq scènes profitent de cette magnifique vue. Au coucher de soleil, une DJ (Thée, selon la modeste planche en bois faisant office de timetable) enchaîne à la perfection les morceaux downtempo hypnotiques sur la scène du Belvédère. Dans le décor derrière elle, un trou laisse apparaître – comme un tableau – le puy de Dôme sur fond de ciel rosé. Les jongleurs trouvent leur place au milieu des danseurs. Tout le monde a l’air de savourer cet instant qui laisse présager un week-end particulier.

On continue l’exploration, les scènes ont chacune leur caractère et leur décoration. Château Perché étant entièrement autofinancé (le festival reçoit seulement quelques dons en nature représentant moins de 0,5% du budget), il n’y a aucune publicité sur le site, seuls des personnages en boule à facettes ou des créations artistiques ornent les murs extérieurs du château. La nuit, la bastille est sublimée par des projections en mapping et une installation lumineuse se reflète dans l’eau de ses douves. On se laisse envelopper par l’atmosphère psyché-fantastique des lieux au fil de l’exploration.

Acte 2 – La tombée des masques

Loin des têtes d’affiche que l’on retrouve de festival en festival, Château Perché pioche dans les réservoirs underground de plusieurs villes européennes pour la programmation musicale, artistes berlinois et français en première ligne. Pas d’emphase sur les noms dans la communication web, ni sur place : seuls des petits panneaux à l’entrée des scènes et une page du site indiquent les horaires et les noms des artistes.

Plus bas, sur la scène du Jardin suspendu, un groupe entame une reprise burlesque d’« Alexandrie Alexandra ». Le second degré et l’ouverture d’esprit pourraient être inscrits dans la constitution du Château Perché. Le festival adopte aussi une approche pluridisciplinaire. La scène du Purgatoire, dédiée aux performances, visait à questionner notre rapport à la sexualité et accueillait des spectacles de type “transe érotique”, “sexualité et ensorcellement”, “concert ésotérique”, ou encore “divination et mysticisme”. J’assiste à une séance de bondage plus tard dans la nuit. Un homme attache lentement une femme sur une balançoire en chaînes. La manœuvre n’est pas vraiment rythmée et me paraît peu gracieuse, je ne fais pas l’effort plus longtemps. La nuit bat son plein, je retourne danser.

Ici, les DJ’s ont le temps de raconter de belles histoires avec des sets de deux à trois heures minimum. Teki Latex en profite pour tisser un superbe patchwork sur la scène de l’Étable. Posté devant une grange, le boss de Sound Pellegrino entremêle UK club, techno et coupé-décalé. Moment extatique lorsque « I Feel Love » de Donna Summer vient se glisser au milieu des ryhtmiques breakées. On enchaîne avec Roman Poncet au petit matin qui, turban sur la tête, transcende la scène du Jardin suspendu. Juste après lui, Sergio 69 et E-Care de la milice lyonnaise CLFT prennent le relais avec des tracks techno qui tabassent aussi fort que le soleil qui a repris sa place. La musique s’arrête brutalement au milieu de leur set, tout le monde doit s’en aller dans l’incompréhension (l’organisation m’expliquera que la police a fait pression pour couper le son).

Beaucoup se dirigent vers le haut du domaine en direction de la Terre brûlée, la seule scène où il reste de la musique. Il est presque midi quand elle s’arrête pour de bon, et des festivaliers prennent l’initiative de ramasser les déchets autour de la scène avant de regagner le campement.

Entracte – La musique reprend à 17 h mais quelques heures de repos supplémentaires s’imposent à la sieste/grillade de l’après-midi sous la fournaise du campement, dénué d’ombre et trop vite épuisé en eau potable.

Acte 3 – Le retour des perchés

Je me remet dans le bain vers 22 h sur la scène du Purgatoire. On y danse sous les feuillages et la lumière tamisée. Le DJ distille une house lente et envoûtante, l’ambiance est intimiste, idéale pour commencer. Les odeurs en provenance des food trucks titillent les narines mais les sandwichs proposés sont plutôt décevants; un stand avec des spécialités locales aurait été bien vu pour aller pleinement dans la dynamique du festival qui entend s’ancrer dans le territoire et mettre en valeur la région.

Cette parenthèse mise de côté, Château Perché réussit le pari de faire venir des festivaliers de très loin. En errant et au gré des rencontres, on peut entendre des discussions en allemand et en anglais se mêler aux accents auvergnats. Il y a des sourires, des attentions, du respect ; l’ambiance est hyper friendly et les plus beaux costumes sont de sortie. Les salopettes et les peignoirs rencontrent un grand succès, d’autres se sont pris pleinement au jeux du dress code « Incandescence des sens et indécence ». Parmi eux, l’homme vêtu d’une guirlande lumineuse, flamboyant. Pastis-Man, qui, dans son costume de bouteille, nous rappelle les saveurs de l’anis. Quant à l’indécence, elle pourrait s’illustrer à travers plusieurs personnes qui évoluent en tenues « légères », du genre qui pourraient heurter la sensibilité – où alimenter les fantasmes – des puritains du film Les Choristes, tourné ici même au château de Ravel.

Des basses vrombissantes et des cliquetis retentissent sur le coup de 4 h du matin, Henning Baer déboule dans l’étable. Platiniste régulier du Berghain, l’Allemand dessine ici un set bien mental avec plusieurs climax dont Energy Flash qui se transforme en démence collective sur le dancefloor. Booké les deux soirs, Jack de Marseille reprend la suite et guide les danseurs vers deux heures de trip qui font la parte belle aux missiles subaquatiques façon Northern Electronics et aux envolées acid à la Regal.



(Entracte) – Parti pour rendre les armes, je me réveille en sueur au bout de deux heures. La chaleur à du bon, je retourne profiter de la musique.

Acte final

Cette fin de matinée sous le parasol du Belvédère fait partie des instants uniques qu’on retiendra du Château Perché. On ne connaît pas le nom du DJ (il n’est pas indiqué sur le panneau timetable) mais qu’importe, il nous fait voyager avec une sélection quasi baléarique entre pulsations disco, indie rock mystique et beats ethniques. En visuel, la chaîne des volcans est légèrement filtrée par la poussière de nos pas. Délicieux instant de complicité partagé entre une vingtaine de danseurs.

On retiendra aussi la part de loufoque qui fait partie de l’ADN du festival. On se quittera même là-dessus lorsque la navette qui vient nous chercher se bloque dans un fossé un mètre après avoir démarré. Les festivaliers, plus si perchés, descendent alors du bus pour le pousser. Et le véhicule finit de marquer leurs mines déjà déconfites par une bonne dose de poussière.

Bilan à la tombée de rideau : par la nature du cadre, les décorations, la programmation aventureuse et les espaces d’interactions proposés, Château Perché s’écarte originalement de la formule usuelle du festival de dance music. Je renfilerai sans aucun doute le costume pour participer au prochain chapitre de cette arlequinade.

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