1/ La présence
La chose la plus importante quand on fait du live, en particulier de l’improvisation et du live sampling, c’est la présence. On ne parle pas de prestance, d’en faire des tonnes ou d’en imposer physiquement, non, juste d’être là, vivant, à l’écoute, dans le moment, dans cet espace.
De nombreux DJ’s et producteurs passent des heures à préparer leur set sur leur ordinateur, dans leur chambre. Mais quand c’est l’heure du show, il n’y a plus rien d’humain, rien de naturel ni de musical. Dans leur tête, ils sont en avance sur l’auditeur : ils se souviennent de ce qu’ils ont trouvé cool la veille, au casque, et ils anticipent les réactions des gens. Sauf que ce n’est pas le même endroit ni le même contexte. Le live set devient une sorte de démonstration, un espèce de showcase. Du coup les gens en font rapidement une story sur leurs téléphones, et puis ils s’en vont.
En live on ne peut pas se permettre d’être ailleurs, de penser à ce qui s’est passé en backstage l’heure d’avant, de rêver à l’after, ou de se demander si les gens vont acheter ton EP après le show. Il faut être dans le présent à 200%, se donner au maximum sans trop analyser, quitte à se mettre à nu. Et en même temps, il faut aussi s’écouter, regarder autour de soi pour pouvoir rebondir s’il y a une petite longueur, ou de pouvoir calmer le jeu si le show s’emballe trop vite. Je pense que c’est de cela que parlent les artistes quand ils disent « Il y avait une énergie de folie. Avec le public, il se passait quelque chose de magique ».
Si on arrive à être connecté avec ce qui nous entoure, le set s’en ressent et les gens restent attentifs, ils réagissent, et ils ne pensent même pas à sortir leur téléphone pour prendre un selfie.
2/ Jouer, jouer, jouer
Jouer sans arrêt. Répéter. Se tromper. Dire oui à tous les gigs, et jouer le plus longtemps possible. Ne jamais se dire que le set va être mauvais. Si c’est mauvais, c’est qu’il faut réfléchir, comprendre ce qui ne va pas et trouver le moyen de progresser. C’est ce qu’il y a de plus dur dans mes sets, quand je tourne en rond sans inspiration, ou quand je laisse une petite erreur dans une loop rythmique et harmonique et que la musique ne groove pas.
Le public le sent, mais il est bienveillant et il m’accompagne dans le processus, la remise en question en direct, avec humour parfois, et on part ensemble vers un autre thème, un autre groove. C’est l’inconvénient de jouer sans ordinateur, sans bouton sync, sans quantisizer, sans MIDI, sans filtres et sans effets. Mais c’est aussi un avantage, car cela permet de s’entrainer à rester calme, à débloquer la situation tout en continuant de jouer. Et c’est pareil en DJ set, quand on se rend compte qu’on a oublié un vinyle, ou que quelqu’un a renversé sa bière dessus. Il faut rapidement trouver une idée pour ne pas aller dans le mur.
Personnellement, après 8 ans de scène, je commence à peine à me dire que j’ai trouvé une forme de live qui me touche, qui me correspond, et que je suis fier de défendre aux côtés d’autres artistes. Il y a encore du boulot, mais c’est ça le métier : jouer, tout le temps, et apprendre de ses erreurs.
3/ Copier les autres artistes (mais seulement de mémoire)
De façon générale, on apprend énormément des autres artistes, qu’on les admire ou qu’on les découvre. Mais c’est en essayant de reproduire des performances qu’on a vu en concert que l’on trouve de nouvelles façons de faire, de nouvelles idées qui, même si elles s’inspirent de quelque chose d’extérieur, deviennent les nôtres. On trouve alors sa propre touch, son propre style, son propre groove.
Personnellement, j’écoute beaucoup de percussionnistes indiens qui jouent des tablas, ou alors des chants de petites communautés d’Europe de l’Est, d’Amérique centrale, d’Afrique de l’Ouest ou d’Asie. Mais comme je ne joue pas très bien des tablas et que je ne peux pas chanter plusieurs voix en même temps, j’essaie de reproduire les rythmes, les sonorités ou les harmonies autrement. Et de fait je progresse, je découvre des façons de chanter que je n’avais pas envisagées avant. Cela m’ouvre des portes.
Mon père me disait « Il y a deux façons de proposer un truc original dans l’art : soit tu n’écoutes personne, tu t’enfermes, et au bout d’un moment ta musique va forcément être unique (mais il y a des chances que tu deviennes fou). Soit tu écoutes le plus de musiques différentes possible, de tous les styles, toutes les provenances, toutes les époques, et tu te nourris des autres pour faire ta propre sauce ».
4/ Écouter les artistes qui jouent avant soi
Il est important d’être bien conscient de ce qui se joue avant. Une fois, lors d’une soirée aux Bains, j’ai enchainé après un artiste avec lequel je n’accrochais pas trop, donc je me suis dit que j’allais rester moi-même et faire mon truc. Je me suis totalement planté : tout le monde est parti ! Il faut savoir rester humble et ne pas trop être têtu. Cela ne veut pas dire qu’il faut faire la même chose que l’artiste précédent. Au contraire, parfois ça marche très bien de casser complètement une vibe, de manière brutale, de prendre le contre-pied, mais du coup il faut y aller à fond et avoir la matière derrière pour enchaîner et tenir les rênes. C’est très dur d’amener les gens à ce que l’on veut, subtilement, mais quand c’est réussi, ce sont les meilleurs moments sur scène. En réalité, la plupart des gens s’en foutent de qui joue, du concept, ou de la façon dont c’est fait. Ils veulent juste s’échapper, boire un coup, passer un bon moment, donc il faut trouver un moyen de les séduire musicalement, en quelque sorte, pour ensuite les faire voyager avec soi. Et ça marche rarement quand on veut passer en force.
5/ S’intéresser à la question du son, et du matos
Au début, on a tendance à dénigrer la question « avec quoi tu joues ? », car on s’intéresse plus à la musique en termes de composition. Mais plus on joue, plus on s’intéresse aux textures, aux aigus et graves, aux timbres, aux reverbs et aux delays, à la manière de se placer devant le micro pour sampler les percus, pour chanter, aux fade in / out du clavier.
Arrivé à un certain niveau, quand on joue dans des festivals ou des gros clubs devant des milliers de personnes, et que les gens ont leurs oreilles collées au soundsystem, on ne peut pas se permettre d’ « espérer » que ça va sonner. Du coup on se met à digger du matos plus cher, plus récent, ou juste plus fiable. Pour réussir son live, il ne faut pas se dire qu’un set up Ableton + une 808 + une MPC va régler l’affaire. Il faut savoir jouer avec des kicks doux et bien ronds dans les subs quand il n’y a pas de basslines, et quand on envoie une grosse basse bien grasse, comprendre que c’est surtout l’attaque du kick qui va faire le travail, pas le bas. Il faut bien comprendre quelles fréquences on envoie, qu’il s’agisse d’une nappe, de hit hats aigus. Si des snares tombent off beat, on peut leur mettre un petit peu plus de bas pour qu’elles cassent un peu le 4-to-the-floor constant. Et surtout, plus que jamais, comprendre que less is more : ça ne sert à rien d’en rajouter des couches. Les sons ne s’additionnent pas, ils s’entassent et s’emmêlent, se cachent et se complètent.
6/ Avoir quelque chose à dire artistiquement
La dernière chose pour réussir un live, c’est de le faire pour les bonnes raisons. Il est important de se demander le message que l’on veut faire passer, l’éthique que l’on défend, les valeurs que l’on incarne. Un gars qui fait de la grosse techno hardcore et qui veut juste faire la fête, prendre des taz et oublier, parce que le monde autour part en vrille, a déjà une sacrée prise de position, et je respecte cela, quelque part. Je n’aime pas les gens qui font les choses à moitié. Pour faire un beau live qui marque les esprits, avec une bonne intention derrière, il ne faut pas faire de compromis.
Par exemple j’aime beaucoup la démarche de Matthew Herbert, car il tient ses engagements dans la manière dont il fait sa musique. Le live de Loya est très cool aussi, et c’est important de voir qu’il fabrique ses propres instruments. C’est une façon de lutter contre la surconsommation. Ou encore Elektro Guzzi qui ne joue qu’avec une vraie batterie, une basse et une guitare.
C’est important de proposer quelque chose d’authentique, de se mettre des contraintes artistiques. Dans mon live je m’interdis de parler, je reste 100% instrumental et je réduis au maximum mon setup électronique. Je n’utilise que des sons originaux enregistrés, mixés et édités par mes soins, samplés en live, et directement liés à des situations qui signifient quelque chose pour moi : des manifestants libanais qui crient « Sawra » (révolution) à Beyrouth, ou la berceuse d’une femme croisée dans les rues de Tokyo. Personnellement, je suis contre le principe de frontières, de pays, de nationalité, le fait de séparer artificiellement les espaces et les hommes. Et je crois que les convictions, la démarche de chacun doivent pouvoir être perçues à travers sa musique.