50 ans de synthés modulaires en une interview

Écrit par Sophia Salhi
Le 30.09.2015, à 15h08
08 MIN LI-
RE
Écrit par Sophia Salhi
I Dream Of Wires”, c’est toute l’histoire du synthé modulaire en un documentaire. Il nous fallait au plus vite converser avec les réalisateurs. C’est chose faite.

Interview par Edouard Morin

L’avant-première de « I Dream Of Wires », documentaire signé Robert Fantinatto et Jason Amm retraçant l’histoire du synthétiseur modulaire, diffusé au Babylon Kino, à quelques encablures de l’Alexanderplatz, était sans aucun doute l’événement le plus attendu du mois de juillet à Berlin. Dans la salle s’engouffrent producteurs et DJs, journalistes ou même simples passionnés de music électronique. Ce qui prenait la direction d’un projet indépendant semble devenir LE documentaire référence sur le synthétiseur modulaire, et même sur les débuts de la musique électronique, à l’aube de l’ère électrique. 

« I Dream Of Wires » se distingue entre autre par l’intervention du légendaire Morton Subotnick, figure importante de la scène électronique, impliquée dans la conception et le développement du très influent synthétiseur modulaire Buchla. À la fin de la projection du documentaire il exécutait une performance live intitulée « From Silver Apples Of The Moon To A Sky Of Cloudless Sulfur Revisited : VI » (sa premiére depuis 2011, ndlr) accompagné du vidéaste Lillevan.

Ainsi, « I Dream Of Wires » met en exergue l’histoire, la chute et la renaissance du synthétiseur modulaire, explorant rêves et obsessions de ceux qui y ont contribué à travers de nombreuses interviews de compositeurs de légendes et contemporains comme Trent Reznor, Gary Numan, Vince Clarke et Carl Craig, James Holden, Legowelt, mais aussi des fabricants des synthétiseurs Doepfer, Modcan et Make Noise. Retour sur cet événement avec Robert Fantinatto, directeur de « I Dream Of Wires ».

I Dream Of Wires

Entretien avec Robert Fantinatto et Jason Amm, réalisateurs de “I Dream Of Wires”

« I Dream of Wires » raconte la montée, la chute et la renaissance du modulaire synthétiseur. Selon vous, son retour sur le devant de la scène est-il comparable à celui du vinyle ?

Je pense que le retour d’objets comme le vinyle est simplement un symptôme qui traduit la « douceur » de la technologie digitale qui laisse beaucoup de personnes sur leur faim. En revanche, je pense que le synthétiseur modulaire est de retour pour rester et perduer car il s’appuie sur un passé solide. Nous pouvons vraiment en faire un exemple. L’analogie, l’interface tactile et la flexibilité qu’offre un modulaire sont supérieures à son équivalent digital. 

« Vintage » semble être le mot clé de notre époque. Comment expliquez-vous que les gens soient aussi passionnés et obsédés par les équipements d’époque ?

« On peut en effet observer une recrudescence de l’intérêt porté aux objets vintages depuis que les gens ont commencé à apprécier les « failles » qui rendaient certaines technologies obsolètes mais qui leurs donnaient donc un certain charme. Instagram est l’exemple parfait ; les gens y uploadent leurs photos, posent des filtres dessus pour retrouver, à l’aide des nouvelles technologies, les effets des anciens appareils photos et autres artefacts. Quand on commence ainsi, la prochaine étape est de retourner aux basics. Prenez l’exemple du Super 8 Film relancé par Kodak. Personne n’aurait jamais imaginé qu’une chose pareille puisse arriver. Et bien c’est la même chose pour les synthétiseurs. Cependant, rester bloqué sur les anciens équipements est un piège. Utiliser de nouvelles machines basées sur les anciennes, avec des interfaces établies, offre un nouvel éventail de possibilités. 

I Dream Of Wires

« I dream Of Wires » est un documentaire indépendant. Dans quelle(s) mesure(s) le crowdfunding vous a-t-il aidé à atteindre vos objectifs ? Est-ce que la manière dont IndieGoGo approche et comprends la musique a fait la différence par rapport à Kickstarter ?

Je ne suis pas sûr qu’IndieGoGo ait une meilleure compréhension des campagnes de musique. De plus, quand nous cherchions des sources de financements Kickstarter n’était pas encore accessible aux canadiens. Le crowdfunding a été déterminant dans le développement de « I Dream Of Wires ». D’un petit projet indépendant aux buts modestes est né un film qui, comme d’autres documentaires de musique électronique de l’époque, est devenu une véritable référence. L’enthousiasme de cette communauté de gens passionné par ce projet fut une énorme source d’inspiration pour nous. Ca nous a vraiment aidé à traverser certaines périodes difficiles ! 

« Silver Apples Of The Moon » de Morton Subotnick (1967), partiellement produit avec un synthétiseur Buchla, est le premier album de music électronique à atteindre une audience aussi populaire. Qu’entendez-vous par « public populaire » ?

Aujourd’hui, beaucoup de personnes associent la musique électronique à l’EDM. C’est un peu limité comme point de vue. La plupart de la musique pop d’aujourd’hui, on pourrait en débattre, est presque exclusivement produite électroniquement, ou du moins, digitalement. Pour moi, la musique électronique est une forme de musique qui ne cherche pas à cacher le fait que les sons soient produits synthétiquement, et ca concerne aussi bien le travaille de Stockhausen dans les années 1950 que les synthétiseur pop de Depeche Mode. C’est une célébration de l’électricité comme source de son. 

Dans quelle mesure le synthétiseur modulaire constitue-t-il l’origine de la musique électronique ?

La musique électronique précède certainement le synthétiseur modulaire mais l’utilisation de la plupart des instruments consistait à re-déterminer les équipements de studio ou les prototypes uniques qui coutaient excessivement chers. Les modulaires Moog et Buchla ont été conçus pour le grand public, bien qu’à peine accessible car vous pouviez presque acheter un des tout premiers modulaires Moog pour le prix d’une maison. 

I Dream Of Wire

À votre avis, pourquoi le synthétiseur modulaire fascine plus que tous les autres machines de musique électronique ?

Le synthétiseur modulaire, avec ses rangées de boutons, ses interrupteurs et ses nombreux files ne ressemble à rien d’autre dans le monde d’aujourd’hui. C’est pour ca qu’il fascine autant les jeunes qui ont grandi dans l’ère digitale. Pour les personnes plus âgées, ca leurs rappelle certaines choses comme les missions Apollo sur la Lune. Le modulaire est un objet merveilleux, particulièrement quand les lumières sont faibles et qu’elles scintillent ; il semble tout aussi vivant qu’un train à vapeur respire.

Le synthétiseur modulaire est considéré comme une machine de musique électronique ésotérique. Est-ce que ca veut dire qu’on a besoin de connaissances scientifiques pour le comprendre et pouvoir en exploiter toutes les ressources ?

Quelques connaissances sont toujours utiles pour démarrer rapidement. Mais se perde dans la machine, tourner les boutons et intervertir les câbles au hasard, permet souvent d’obtenir un son qu’on aurait jamais trouvé en travaillant de manière rationnelle et scientifique. Une fois qu’on a acquis quelques « basics » c’est sûrement le moyen le plus facile pour profiter le plus rapidement de sa machine, contrairement à une guitare qui demande plusieurs mois d’entraînement avant même d’arriver à prendre un minimum de plaisir en jouant. 

La technologie a aiguisé le paysage musical électronique and le monde d’aujourd’hui est fortement caractérisé pas le progrès technologique. Pensez-vous que celle-ci a un impact sur la manière dont nous utilisions ces machines ?

Beaucoup de gens disent qu’un ordinateur peut faire la même chose qu’un synthétiseur modulaire. Mais la relation et l’interaction que vous avez avec un instrument,  son interface physique, a un impact énorme sur l’artiste. Il est difficile d’imaginer quelqu’un avoir une relation très personnelle avec une partie de software de la même manière qu’avec une guitare ou un violon. Le synthétiseur modulaire n’est pas seulement une interface physique, il peut être customisé par l’utilisateur ce qui en fait une expression unique de l’utilisateur qui l’a assemblé. 

Quel(s) ont été le(s) critère(s) de sélection des différents intervenant du documentaires : les musiciens électroniques de légende comme Trent Reznor, Gray Numan, Vince Clarke ainsi que les artistes contemporains de dance et electronica Carl Craig, James Holden, Legowelt ?

Nos influences personnelles ont forcément eu un impact sur nos choix. C’est inouï de pouvoir rencontrer ses héros. Mais dans beaucoup de cas, nos choix dépendaient de la disponibilité des artistes dans un endroit spécifique du monde car notre budget était extrêmement serré. Il y a beaucoup de personnes que nous aurions aimé interroger mais s’ils habitaient en Australie, par exemple, nous ne pouvions pas justifier un si long voyage juste pour une interview. 

Derrière le synthétiseur modulaire, en tant qu’instrument de musique, Robert Moog de la côte Est et Don Buchla de la côte Ouest avaient une approche esthétique et musicale différente de l’objet. Existait-il à leur époque une forte compétition et course à l’innovation ? Si oui, celle-ci existe-t-elle toujours ?

C’est difficile à croire pour l’époque d’autant plus que l’Internet était très peu répendu. Moog et Buchla n’avaient vraiment pas conscience de leur présence respective jusqu’à ce que leurs systèmes soient commercialisés. Ce qui est intéressant est que beaucoup d’entreprises comme ARP, Roland, EMS se battaient pour se partager le marché avec Moog. Mais le synthétiseur modulaire Buchla était si unique et venu d’ailleurs qu’il avait son propre groupe de fans. Ils n’ont jamais été en compétition avec Moog. 

Je pense que nous sommes à la pointe du synthétiseur modulaire qui est un accessoire très branché, quelque chose qu’on doit avoir sur scène pour être cool. Je suis certain qu’il y aura quelques réactions contre cela pendant un certain temps. Mais les musiciens sérieux continueront d’explorer le modulaire et d’ignorer ce genre de débats. Je sens que le modulaire est revenu pour rester et perdurer, bien qu’il restera une option parmi tant d’autres que les artistes pourront utiliser. Certains des développements technologiques les plus intéressants tournent atour de l’obtention de machines modulaires pour se connecter avec plein d’autres choses dans le domaine digital. Ca devient alors un nouvel outil dans la boîte à outils. 

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant