Vingt ans de confiance mutuelle entre le Rex et D’Julz. Une expérience enrichissante, qui a permis au DJ parisien de faire découvrir au public de la capitale des artistes issus des quatre coins du monde, qu’il sélectionne avec toujours autant d’exigence qu’autrefois. Celui dont on connaît la house joue aussi beaucoup de techno d’antan, aux ambiances groovy de Detroit, de figures comme Octave One, E-Dancer, de labels comme Teknotika Records de Gary Martin… Tant de musique qu’il a découverte tout au long de sa carrière. Et ces vingt ans, Julien Véniel, de son vrai nom, ne les aura pas vus défiler.
“J’ai bien choisi le club au début, et je n’ai jamais ressenti le besoin d’aller voir ailleurs.”
Ça représente quoi, pour toi, 20 ans de Bass Culture ?
Déjà, c’est très étrange, parce que je n’en ai absolument pas conscience. Ça ne me paraît pas si vieux. Quand je retourne au Rex tous les deux mois, je n’ai pas du tout l’impression d’une routine. J’y trouve toujours autant d’excitation. Pour moi, il y a une réelle évolution qui fait que je n’ai pas du tout conscience de ces vingt dernières années. Le public a vachement changé, et j’essaye toujours d’inviter des artistes nouveaux et qui apportent quelque chose de frais, ou même des anciens qui renouvellent leur musique. Je reconnais quand même la chance que j’ai d’avoir pu, sans interruption, jouer aussi régulièrement au Rex, en ayant traversé toutes ces périodes et ces tendances musicales, et surtout les crises de la nuit parisienne. En ce moment ça se passe super bien, depuis à peu près cinq ou six ans, mais il y a eu des moments où la mode musicale était à l’opposé de ce que je fais. Finalement, c’est surtout ça dont je suis fier. C’est beaucoup lié, je pense, au fait que ça soit un des rares clubs à Paris dont, même si la direction a pu changer, l’esprit d’origine est resté le même. Et surtout, ça reste un club de référence à Paris, même si l’offre est beaucoup plus grande maintenant et la concurrence rude, avec d’autres très bons clubs dans la ville. Je pense que ça reste un endroit où les amateurs de musique électronique aiment se retrouver. Disons que j’ai bien choisi le club au début, et je n’ai jamais ressenti le besoin d’aller voir ailleurs.
Le Rex, c’est devenu ta maison du coup…
Bien sûr. J’ai joué dans plein d’autres clubs à Paris, où je pouvais aussi avoir des résidences, qui ont complètement changé de direction musicale, voire de direction tout court. À un moment donné, je ne m’y sentais plus à l’aise. C’est rare d’avoir des soirées ou des clubs qui durent plus de cinq ans. Pour cette raison-là, le Rex est le seul à ma connaissance qui n’a pas radicalement changé. À partir du moment où ma soirée se passe bien, où du monde y vient, et que chacun est content, moi y compris, tout va bien. Et j’y ai mes repères : ce qui me plaisait dans le club il y a vingt ans n’a pas disparu. Ça s’est même parfois amélioré, au niveau technique ou au niveau du son. Il y a une expression américaine qui dit : « If it ain’t broken, don’t fix it. » En gros, si ce n’est pas cassé, y a rien à réparer.
“Cette confiance, qu’on m’a donnée dès le départ, je l’ai conservée pendant vingt ans.”
Comment est né Bass Culture ?
Au démarrage, l’idée de cette soirée était de confier la direction artistique à un DJ. Ce sont les premiers – en tout cas à ma connaissance – à avoir fait ça à Paris. Quand je suis arrivé, je tournais avec d’autres promoteurs de rave comme Temple, pour les soirées Lunacy, assez légendaires à la grande époque des raves à Paris. Quand la répression a commencé et que c’est devenu impossible d’organiser des fêtes hors des structures légales, ces organisateurs ont repris les rênes du samedi soir au Rex. Ils ont invité des résidents français, comme Erik Rug, Jef K, Jack de Marseille, moi, et d’autres… Tu jouais une fois par mois, avec un guest. On prenait un mec de Detroit, un Hollandais ou un Anglais, ceux qui étaient à la mode à l’époque, mais toujours avec ce côté relativement house. Ça a duré deux ans, et ils ont décidé d’arrêter. La direction du Rex a voulu garder les résidents en place et leur proposer de faire leur propre soirée. Et c’est comme ça que Bass Culture est né. J’avais carte blanche pour le nom, pour les artistes à inviter. J’étais libre de faire ce que je voulais. Si j’avais voulu des gogo danseuses ou un spectacle de magie, j’aurais pu ! (Rires) J’avais une liberté totale : si je voulais jouer toute la nuit, je jouais toute la nuit, et si j’avais envie d’inviter des DJ’s inconnus que j’avais entendus au fin fond de la Belgique ou au nord de l’Angleterre, on me faisait confiance. Cette confiance-là, qu’on m’a donnée dès le départ, je l’ai conservée pendant vingt ans.
Tu as un souvenir particulier de ces soirées que tu veux nous faire partager ?
Il y en a tellement… Les DJ’s que j’ai fait venir pour la première fois à Paris, surtout dans les années 90 et au début des années 2000, m’ont le plus marqué. La première fois que Terry Francis est venu à une des soirées, c’était en 1998. Il n’était pas encore résident de Fabric. C’était au tout début de la scène anglaise tech house, un truc très frais, plein de gens qui me correspondaient, qui étaient en accord avec l’identité de Bass Culture à ses débuts. Je me souviens, il a fait un set incroyable à la fois techniquement et dans son choix des musiques, de Detroit à Chicago. La première fois que j’ai fait venir Raresh, il jouait de tout aussi. Dix ans après Terry Francis, il m’a donné la même impression. Y’a pas de secret… Quand c’est si bien fait, les DJ’s font parler d’eux assez rapidement. D’autres m’ont aussi marqué, comme Kenny Hawkes, ou des gens beaucoup plus connus comme Josh Wink ou Cassy. Ces artistes étaient particulièrement en phase musicalement avec moi et correspondaient parfaitement à l’identité de la soirée. Et ils sont devenus des guests réguliers sur plusieurs années. Et puis des live aussi, incroyables à voir, comme Mr. G, Octave One… C’est difficile de citer des noms parce qu’il y en a eu tellement.
“J’ai toujours dit : le jour où je ne le fais plus de façon aussi passionnée, j’arrête.”
Tu t’intéresses un peu à la scène actuelle française, toi qui aimes le renouveau ?
Oui, et je trouve qu’il y a plein de DJ’s super doués. Parmi les récents, j’aime beaucoup ce que fait Leo Pol, mais aussi John Jastszebski, que j’ai signé sur mon label et qui est un des mecs les plus brillants de cette nouvelle génération, et tous ces nombreux parisiens comme le trio Mandar, Molly, les mecs de chez D.KO ou Popcorn Records. Et puis des DJ’s qui ont déjà pas mal percé, comme Varhat, Lowris ou Janeret. Ce que j’aime bien dans la scène actuelle – mais je pense que ça va encore se développer, pour l’instant on en est aux prémices – c’est qu’il y a clairement une absorption massive de l’histoire et de la culture techno & house, avec une légère préférence pour les années 90. Le fait qu’ils aient accès à tout ça grâce à la technologie, c’est une bonne chose. Après il faut le temps de digérer tout ça ; digérer 30 ans de musique électronique en cinq ans, chose que moi j’ai eu le temps de faire en une carrière, c’est compliqué… Mais ce que je ressens déjà, c’est qu’il y a un côté évidemment old school, mais toujours avec cette fraîcheur. Un petit twist en plus. C’est vachement bien, mais il va falloir creuser un peu plus là-dedans pour que ça donne quelque chose de réellement différent. En tout cas, je suis rassuré de ne pas me sentir complètement largué. C’est en train de se créer petit à petit, ça donnera une vraie French Touch 2.0. On y arrive. On est bien en France, je ne m’inquiète pas pour l’avenir. En tout cas, plus pour mon avenir que pour celui de la musique électronique (Rires).
Justement, ton avenir, qu’en est-il ?
J’ai toujours dit : le jour où je ne le fais plus de façon aussi passionnée, j’arrête. Ce n’est pas quelque chose que tu peux faire correctement si tu le fais pour les mauvaises raisons. Et là, vraiment, je n’ai pas du tout envie de m’arrêter. Le fait de voir qu’il se passe enfin beaucoup de choses en France, c’est même encore plus encourageant, et super enrichissant ! Ça m’a redonné encore plus de pêche, même si je ne l’avais jamais vraiment perdue. Si je peux encore faire ça pendant 10 ans, ça serait super…
Comment as-tu vécu l’apparition de JuL sur le marché de la musique ?
Je ne vois pas qui c’est…
À l’occasion des 20 ans de Bass Culture, D’Julz sort une compile The Sound Of Bass Culture, qui retrace l’essence de ces soirées en 14 tracks. La sélection est disponible en précommande sur les Internets. En attendant, le DJ nous régale de sa dernière soirée au Rex, pour un mix de 6 heures, à découvrir en exclusivité chez Trax. Si vous n’y étiez pas, on vous y emmène tout de suite.