On parle assez peu psytrance chez nous, mais s’il y a un phénomène que nous n’avons pas pu louper, c’est bien l’Israélien Yoni Oshrat aka Ace Ventura. Avec ce projet démarré en 2006, le DJ/producteur a révolutionné la scène psychédélique, et l’a incroyablement popularisée avec l’aide de son ami Astrix, entre autres. Une basse ronde et entêtante, des sonorités venues d’ailleurs et des effets ajustés pour donner plus de profondeur : la recette d’Ace Ventura est assez simple mais infaillible.
Alors qu’il se dirige déjà sur sa quarantaine, l’artiste passe sa vie dans des avions, propageant le son de la trance progressive aux quatre coins du monde, au risque peut-être de rejoindre le rang des DJ’s superstars. Il n’en est rien. Après vingt ans de carrière, Yoni reste un artiste humble, proche de ses compagnons et marqué par une timidité qui dénote par rapport à l’énergie provocante de ses productions.
À l’occasion de sa venue le 8 juillet au festival Electrobotik, nous avons rencontré l’homme derrière l’alias devenu l’emblème de la nouvelle génération psy.
À quel moment as-tu commencé à t’intéresser à la musique ?
Je m’intéresse à la musique électronique depuis tout petit. Mon premier disque, c’était un Kraftwerk. J’ai grandi alors que la dance/pop évoluait vers quelque chose de plus techno et j’ai pris le train en route. J’avais 14 ans quand j’ai commencé à mixer pour les anniversaires de mes potes, et plus tard, j’ai obtenu des créneaux dans des clubs mainstream qui passaient quelques sets dance ou techno en fin de soirée. Je suis vite devenu féru de psytrance avec mon énorme collection de CD et de cassettes digitales. Tous les artistes de la première génération étaient mes héros, et mon rêve était de faire comme eux : faire danser les gens et communiquer la folie que je ressentais dans ces soirées. C’est finalement en 1997 que je me suis mis à produire, en faisant d’abord équipe avec DJ Goblin sous le nom Children of The Doc, puis sous Psysex. Notre premier morceau, “Welcome Friends”, a été signé par les pionniers Astral Projection : un véritable honneur pour nous. On a ensuite rejoint HOMmega Productions et tout s’est enchaîné.
C’était comment de grandir à Tel Aviv ?
J’en garde un bon souvenir. J’écoutais du bon son, j’allais au cinéma et je jouais aux jeux vidéo… La scène musicale était bonne – avec beaucoup d’eurodance du début des 90’s (2 unlimited, Dr.Alban, Ace of base, Scooter, Ramierz).
Quand j’étais encore jeune, un ami m’a initié aux soirées goa du Turtle House de Tel Aviv. J’y ai découvert tout un nouveau monde, et une incroyable communauté d’habitués que je retrouvais chaque week-end pour danser la nuit entière. Tous les dimanches, je visitais la boutique de Krembo Records à Tel Aviv pour gratter la tracklist que DJ Zoo-B avait jouée le vendredi précédent.
La psytrance a fait son chemin dans le cœur des Israéliens quelques années plus tard et ne l’a jamais quittée depuis. C’était si frais et fascinant au milieu des années 90, l’âge d’or du style en Israël. Les petites soirées dans les clubs sombres sont alors devenues d’immenses raves en plein air. Pour ma part, mes albums favoris restent Bible of Dreams de Juno Reactor, Self Oscilation de Deedrah, Twisted d’Hallucinogen et I.F.O de Pleiadians.
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Tu as vu la psytrance naître et se populariser en Israël, quel souvenir en gardes-tu ?
Quand j’ai véritablement lancé ma carrière, la psytrance se popularisait progressivement mais restait encore très underground. Internet n’en était qu’à ses premières années, le téléphone portable n’était pas commun : tout se passait par le bouche à oreille. Avec le temps, les soirées sont devenues plus accessibles et mieux organisées malgré les confrontations avec la police qui interdisaient de nombreuses soirées. On était des sortes de guerriers de la liberté, combattant l’autorité pour ce en quoi nous croyions. Ce conflit a atteint son climax avec la manifestation “Give Trance a Chance”, qui a réuni des dizaines de milliers de personnes dans les rues de Tel Aviv.
Pourquoi la psytrance est-elle si populaire chez vous ?
C’est une musique puissante et rapide, parfois même agressive comme le heavy metal. C’est un moyen de dialoguer avec nos sentiments intérieurs et comme vous le savez, Israël peut être un pays angoissant… Les jeunes ont toujours trouvé un foyer dans la communauté psy, qu’ils la découvrent après leur service militaire, dans une rave ou dans un magasin de Tel Aviv. La psytrance connecte les Israéliens peu importe qui ils sont et où ils se trouvent.
Le concept des street parties gratuites est vraiment une chose unique en Israël. On les trouve souvent à Jérusalem, Haïfa ou Tel Aviv. Ce sont des après-midis d’énormes raves gratuites – sponsorisées par les villes – qui attirent des dizaines de milliers de personnes. Le résultat est impressionnant : une mare de jeunes qui dansent comme des fous à la lumière du jour, en plein milieu d’une aire urbaine qui n’a habituellement rien d’un dancefloor… J’ai eu la chance de jouer dans ces événements et c’est à couper le souffle.
La psytrance reste un genre musical peu compris. Comment le décrirais-tu ?
Le meilleur moyen de décrire la psytrance est d’en parler comme d’une forme d’art intemporelle. C’est LE FUTUR : elle ressemble à une musique envoyée par des êtres venus de l’an 2476. Elle fait aussi appel à un sentiment profondément ancien, primaire et tribal qu’on trouve à la racine de l’homme. Mais la psytrance, c’est surtout un mode de vie : une tribu et une culture unique.
Ne crains-tu pas qu’à force de se populariser, la communauté perde de son essence ?
La psytrance est unique dans le paysage musical électronique, mais elle a surtout plus à offrir que de la musique. À mesure que de nouvelles personnes découvrent cette culture, c’est naturel qu’elle devienne plus populaire. Personnellement, ça ne me pose pas de problèmes que la tribu accueille de nouveaux membres. Je pense que peu importe la popularité que ce genre puisse avoir dans certains pays, il restera toujours underground. La culture psychédélique est quelque chose qui ne peut pas plaire à tout le monde, ça n’atteindra jamais les proportions massives d’autres genres musicaux.
On le sait peu mais tu as eu d’autres projets avant l’alias Ace Ventura. Comment est né ce dernier projet ?
J’ai créé mon premier morceau de ‘progressive’ en 2004 après qu’un bon ami (Yuli Fershtat aka Perfect Stranger) m’y a poussé. J’étais à fond dans le projet Psysex depuis six ans, mais la dynamique du duo devenait compliquée puisque j’aspirais à un son progressif plus tranquille. Quand j’ai achevé mon premier track de trance progressive, “Cardiac Arrest”, Perfect Stranger l’a tout de suite posé sur sa compilation SET:4 chez Iboga.
Ce disque s’est fait rapidement et j’ai dû trouver un nom dans l’urgence pour mon nouveau projet. Bien que je sois assez fan des films de Jim Carrey, ce n’était pas la raison première de ce choix : je cherchais quelque chose de plus personnel. Le nom de famille de mon père est Ventura et j’aimais bien le son du mot “ACE”.
Comment perçois-tu l’avenir de la trance ?
C’est difficile de dire à quoi ressemblera le futur. J’espère que la psytrance continuera d’évoluer et de se transformer. En vingt ans j’ai vu tellement de sous-genres naître – ou disparaître – de cette scène. Une seule chose est vraiment restée : le rythme hyper-puissant de 145 BPM. On appelle ça de la full-on mais cette base existe depuis le début.
Quant à la progressive, elle a effectivement connu de plus belles heures. Aujourd’hui elle s’appauvrit à cause d’une formule simple à laquelle je n’adhère pas – sans parler de la mode qui consiste à se lever sur les tables ou à s’approcher des devants de scène à la manière des DJ’s EDM. Mais tout est une question de cycles, et les choses changent constamment ; ce n’est donc qu’une question de temps avant qu’une nouvelle bonne psy-prog débarque. Et puis on trouve toujours du réconfort chez Zenon Records, un label australien qui garde un très haut niveau de prog sombre et atmosphérique. Pour la prochaine génération, je vous conseille de garder un œil sur YESTERMORROW (Portugal), Magik (UK) et Off Limits (Israël).
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Quel regard portes-tu sur ta carrière aujourd’hui ?
Je joue depuis plus de vingt ans. Je voyage dans le monde entier depuis seize ans et je ne comprends toujours pas ce qu’il m’arrive. Parfois on ne réalise même plus la durée d’un voyage ou le nombre de visages qu’on a pu voir, puisqu’on est déjà sur le chemin de notre prochaine destination.
Parfois ce n’est pas simple mais c’est toujours incroyable.
J’ai rencontré beaucoup d’artistes talentueux, des gens intéressants venus des quatre coins du monde, je me suis fait des amis dans beaucoup de pays. Mais ce qui est le plus significatif pour moi, c’est d’avoir rencontré Corin – ma femme et la mère de mes enfants – lors d’une rave sur les montagnes suisses. C’est évidemment la plus belle chose qui me soit arrivée durant toutes ces années.
Que nous prépares-tu pour les prochains mois ?
La nouvelle la plus excitante que je peux partager avec vous c’est la naissance d’un nouveau projet avec le producteur que j’apprécie le plus, un des meilleurs de notre scène : Astrix. Le projet s’appelle Alpha Portal et on y travaille depuis longtemps. On a cherché à retrouver nos racines psychédéliques pour produire un voyage à pleine puissance.
Les résultats sont déjà beaucoup plus riches en énergie que tout ce qu’on a pu faire jusqu’ici. Le disque sera composé de collaborations avec Raja Ram, Ajja, Burn In Noise, Magik et je peux vous dire que ça fait du bien de travailler sur ces hauts tempos à nouveau. Comme à l’ancienne ! Vous pourrez tous découvrir ce projet à l’Ozora Festival 2016.
En attendant, retrouvez Ace Ventura aux côtés d’Ajja, Astrix et les autres sur la scène Wall-E de l’Electrobotik Festival. L’événement se tiendra les 8 et 9 juillet à Bagnols-sur-Cèze. Il est encore temps de choper des places !