L’on s’épargnera la sempiternelle dissertation sur l’absurdité (ou pas) de classer, noter, faire concourir des disques et des artistes – surtout lorsque RA s’est fraîchement chargé de remettre les choses à plat. Pour désigner le « meilleur » de tant d’univers singuliers, il aurait fallu se munir de critères arbitraires garants d’un semblant de rigueur dans l’entreprise. Et, si l’on avait par exemple tablé sur les disques qui ont le plus tourné à la rédac’, l’on se serait retrouvés avec Trône de Booba dans la sélection. Non, ceci n’est pas un top 20.
Voici donc plutôt 20 artistes que Trax a souhaité faire rencontrer sur une pleine page à ses lecteurs, afin de pénétrer, prolonger leur univers musical au-delà des sons ; des anciens dont le moteur fonctionne toujours à plein régime (DJ Bone, Dopplereffekt), des valeurs montantes confirmant leur talent (Aleksi Perälä, Laurel Halo) et des nouveaux venus à suivre de près (Apollo Noir, Charlie O.). Il y a bien sûr des absents, notamment la centaine d’autres LP et EP chroniqués restée bien au chaud entre les pages du magazine (vous pouvez vous le procurer ici). Sans compter les trésors empilés dans l’onglet « promo » de nos boîtes mails, que l’on réserve à notre prochaine liste des « 300 albums oubliés », dans le Trax « spécial 40 ans » de 2037.
Février
Apollo Noir – A/N (Tigersushi)
Apollo Noir se présente directement avec ce long format qui impressionne par sa radicalité et sa mélancolie, ses textures électro avant-gardistes, ses rythmiques IDM complexes et ses accalmies ambient. La force du producteur est de jouer avec les sensations contraires, la douceur et la violence, le glacé et le brûlant, l’intime et l’universel, le vintage et la modernité, et de balader l’auditeur dans des mondes différents, parfois dans un même morceau. Des mondes où se croisent les fantômes de ses influences, de Vangelis à Sonic Youth, de The Faint à Oneohtrix Point Never, de Liars au Velvet Underground, de Black Sabbath à Jean-Michel Jarre (« Quand j’étais enfant, sa musique me faisait peur et me fascinait »).
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Mars
Differ-Ent (A.K.A. DJ Bone) – It’s good to be differ-ent (Don’t be afraid)
Essentiellement dance-floor, « It’s Good To Be Differ-Ent » n’en demeure pas moins d’une réjouissante diversité, à l’instar de ces albums du début des années 90, dont tout les morceaux étaient différents mais unis autour de la personnalité du compositeur et non de son seul « son ». Tout ici sonne DJ Bone, mais jamais auparavant n’avait on pu nous rendre compte de l’étendue de la palette de son style, tant et si bien qu’hormis les évidentes accointances avec Kraftwerk et surtout Derrick May, les comparaisons avec ses contemporains semblent assez futiles.
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Avril
Dopplereffekt – Cellular Automata (Leisure System)
Quand Stinson disparaît en 2002, le son de Dopplereffekt délaisse pourtant le dancefloor, embrassant des notions plus avant-gardistes, ambitionnant d’atteindre la transe par des moyens mathématiques. Aussi intéressante soit-elle, cette quête se révèle toutefois moins évidente, et les quinze années qui suivent ressemblent plus à un travail de laborantin. Heureusement, cet album pour le label du neveu du fondateur de Warp fait figure d’aboutissement : sans abandonner sa nature abstraite, Donald remet pourtant enfin l’accent sur la composition, proposant des structures plus narratives, intégrant des sonorités moins vintage qu’à l’habitude – le côté « modular » est omniprésent. Bref, on prend un réel plaisir à l’écoute de cet album varié, dont la brièveté constitue plus un atout qu’une frustration.
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AZD ne fait pas exception à la versatilité prismatique coutumière d’Actress, qui se montre aussi bien joueur (Fantasynth) que tragique et aphexien (Faure in Chrome). On constate néanmoins le début d’un processus de désinfection de son esthétique lo-fi, l’abandon de la sub-bass, du 2-step garage et des ondes abrasives de FM au profit de synthétiseurs bien allants (Visa). Toujours avec cette même malléabilité manifeste de quelques rares artistes tels que Laurel Halo, AZD entame le glissement d’Actress vers une IDM aux courbes moirées proche de Kuedo et Patten.
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Mai
Carl Craig est certainement l’artiste le plus curieux et le plus ouvert de Detroit. Aujourd’hui, le voilà qui s’attaque à la musique classique pour une véritable mutation de sa techno et surtout une fantastique aventure humaine.
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Rebekah – Fear Paralysis (Soma)
Un savant mélange entre techno classique, nappes hypnotiques et ambiances crispantes. Un voyage inédit dans l’univers de Rebekah qui voit désormais plus grand. ” Quand tu aimes la techno, tu as envie de la faire évoluer, de la faire grandir. Il y a eu des gens avant ma génération qui ont créé et joué cette musique. Maintenant, elle est dans nos mains et je souhaite à mon tour apporter quelque chose qui puisse inspirer les prochaines générations.”
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Roll The Dice – Born To Ruin (The New Black)
Entre noise, EBM et no wave racée, le nouvel album de son duo Roll The Dice évoque d’ailleurs subtilement une filiation avec le free-jazz suédois, une magnifique émancipation de la techno au point de n’en être qu’un vague souvenir, et c’est encore une fois conscient : « C’est important d’avoir un concept artistique, surtout quand on fait un album, car en musique électronique, on tombe rapidement dans une forme de facilité, à se contenter de créer des sons intéressants, d’avoir une production ultra-maîtrisée. Mais avec Roll The Dice, on a vraiment une phase de réflexion en amont. Après, je ne dis pas non plus que c’est facile… »
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Juin
Dust s’ouvre sur une sorte de petite comptine pleine de drones et de boîte à rythme maltraitée, la voix de Laurel y figure tantôt claire, tantôt pervertie comme la lecture d’une bande magnétique récalcitrante, le tout soutenu par quelques accords d’orgue et phrases de synthé. Ce Sun to Solar annonce une intention plus ludique, mais surtout une véritable rupture avec un dancefloor qui pointait toujours le bout de son nez dans ses précédentes productions.
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Peverelist – Tessellations (Livity Sound)
Alors que les premiers amours de Peverelist remontent à la jungle de LTJ Bukem et compagnie, Tessellations revient encore plus loin, évoquant la blip techno, les aventures rythmiques de Sweet Exorcist et autres projets de Richard H. Kirk, LFO, une musique où les beats sont rois et peuvent s’évader n’importe où. Mais le plus savoureux demeure cette musique si blanche, subissant pourtant les influences inconscientes d’un passé colonial, l’accent sur les bongos et les toms procurant une couleur « quatrième monde » qui n’est pas sans rappeler le travail de Shackleton, un ancien collègue champion de cette esthétique. Humble, cet album n’en est que plus passionnant et se pose comme manifeste absolu de ce qui fait de Livity Sound un des labels les plus insaisissables.
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Juillet-Août
Nick Höppner – Work (Ostgut Ton)
Ses envies semblent aujourd’hui s’aligner avec une mise en abîme de ses influences – All By Themselves My Belle évoque le vieux Warp (Plaid/Black Dog, NOW, etc.), In My Mind rappelle l’insouciance de Chicago, Hole Head la jungle du label Good Looking, mais nous ne sommes pas pour autant dans un trip rétro : « Ma seule véritable ambition avec cet album était d’exprimer des sentiments de sincérité et d’authenticité, qu’on ne se dise pas à son écoute qu’il s’agit juste de la carte de visite de DJ en mal de gigs. »
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Fabrizio Rat – The Pianist (Blackstrobe Records)
Ça fait maintenant un bail que l’Italien mène sa transition vers la techno, le dérèglement d’une voie toute tracée vers une carrière de concertiste de musique classique et contemporaine… Après avoir posé les jalons de cette orientation dans les projets Cabaret Contemporain ou The Explosion, Fabrizio Rat arrive finalement à bon port, celui d’une techno initiée par Jeff Mills, un producteur dont la démarche croise la sienne, des machines à l’acoustique, de l’acoustique aux machines, une multiplication d’inversions et de paradoxes d’une redoutable efficacité.
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Octobre
Special Request – Belief System (Houndstooth)
Au-delà de la musique, Belief System est une cartographie spatio-temporelle de l’univers concret de Paul : « Quand je référence un genre, un club, une teuf, c’est uniquement par le biais de mon expérience subjective, ce qui n’est pas toujours évident, car nous sommes pleins de réflexes. » Effectivement, alors que la techno est devenue « officielle », qu’elle cultive à l’instar de la deep house une conception du bon goût, des sous-genres historiques ont quasiment disparu, ou ont été frappés d’anathème. Avec un track comme Brainstorm, Paul invoque la transe et le UK hardcore, avec ses samples de rappeurs anglais du dimanche, le tout pour nous rappeler une dimension fondamentale de cette musique, l’hédonisme, et donc la liberté.
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DMX Krew – Strange Directions (Hypercolor)
Ce nouvel album pourrait paraître relativement « facile » à première écoute, mais DMX Krew passe son temps à chahuter ses structures par l’introduction de nouveaux motifs mélodiques et rythmiques qui viennent bouleverser le groove (Zero Sum) sans s’annoncer par le recours au drop. Mais au-delà de ça, parle-t-il d’autre chose que de sa musique même ? « C’est plus difficile de se remettre en question aujourd’hui : notre culture a rendu le passé indéfiniment disponible. Dans le passé, t’aurais pu entendre un morceau de Larry Heard, et avec un peu de bol, un an après, t’aurais pu trouver un second disque de lui dans une boutique d’occasion. Maintenant, tu peux entendre Can You Feel It pour la première fois et instantanément télécharger son intégrale et aller sur un forum pour savoir exactement quels synthés il a utilisés pour tel ou tel track, puis juste copier la vibe. Et c’est ce qui se passe. Donc je m’inspire de moi-même pour préserver ma naïveté. »
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Renart – Fragments séquencés (Cracki Records)
Le groove UK à la tension artérielle d’un Mélenchon de meeting dans Le Piège de Circé, le lancinant exotisme tribal de Fragment Oxyrinthique 6754, le lyrisme à la Fabrice Lig de La Prise de pouvoir, le bucolisme minimal de Cyber Moineaux et Souvenirs miroirs… Autant de réussites que de paris, mais surtout un univers « métaphorique » – au-delà de la musique même – plus riche qu’à l’accoutumée.
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Novembre
Ben Frost – The Centre Cannot Hold (Mute Records)
Condensé de textures noise et ambient aux mélodies volatiles impulsées par des secousses chtoniennes, The Centre Cannot Hold nous engloutit dans un faisceau de sensations contradictoires. Avec un titre extrait du fameux poème de Wiliam Butler Yeats, The Second Coming, ce cinquième LP de Ben Frost relève d’une ambiguïté poétique qu’il dévoile en nous racontant la démarche de ce minutieux album concept paru chez Mute Records.
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CoH – CoH Plays Everall (Hallow Ground)
Œuvre improbable née de la rencontre de John Everall et CoH, CoH Plays Everall sort trois ans après la disparition de celui qui a produit une foule de projets dont on pourrait abruptement résumer l’impact contemporain ainsi : le terreau fondateur de la plupart des émotions et aspirations agitant l’univers de Vatican Shadow et Hospital Records.
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Plus harmonieux et pourtant aventureux, le second album du producteur allemand M.E.S.H. poursuit son exploration sonore. Résident pour les soirées Janus depuis cinq ans aux côtés de Lotic et Kablam , le dj s’est fait connaître pour ses mix intenses et est devenu le porte-parole le plus excitant de cette nouvelle scène club qui, armée de CDJ, s’est appliquée à réconcilier la techno, le gabber, le R&B ou encore le kuduro. Hesaitix parvient enfin à réconcilier tous ces univers.
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Décembre – Janvier
Tigersushi – Musique ambiante francaise (Vol.1)
L’aventureuse maison française de Joakim, Tigersushi, met sa bande de copains au défi de la composition ambient. Si le disque fait l’impasse sur la frange chevronnée du genre en France, la collection de morceaux des Étienne Jaumet, Romain Turzi ou Mondkopf méritent qu’on y pose une oreille attentiven.
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Björk – Utopia (One Little Indian Records)
Titré en toute hardiesse Utopia, l’auto-proclamé “album Tinder” de l’artiste la plus iconoclaste de la musique électronique est un de ses plus réussis. Ca méritait bien une double chronique.
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Aleksi Päräla – Paradox (Trip Records)
La techno est par excellence l’art de l’infime variation, et rares sont les artistes qui ont réellement enrichi son paradigme ces dernières années. Déjà riche d’une longue carrière chez Rephlex, Aleksi Perälä publie presque anonymement The Colundi Sequence Level 1 en 2014, un premier volume suivi de quinze autres. Si ses heures de gloire sous les pseudos Ovuca et Astrobotnia sont loin derrière lui, et que son IDM est passée de mode, cette série initie une profonde remise en question de lui-même, mais également de la techno, introduisant une manière innovante d’en penser la tonalité. Une démarche qui fera des émules et qui aboutit aujourd’hui avec un premier album pour le label de Nina Kraviz. On notera que ce disque nous évoque parfois Future Sound of London, Terrence Dixon, Mathew Jonson, et forcément un peu Aphex, mais avant tout Aleksi ! « Je vis et respire Colundi au quotidien, c’est comme de la thérapie sonore, de la méditation, voyager, communiquer, échanger, recevoir ». La techno vous dit namasté !