1979 : quand Paris accueillait le tout premier championnat de France de DJ

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©SalsaGodfather
Le 21.09.2020, à 15h46
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©SalsaGodfather
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En 1979, des DJ affamés de compétition se retrouvaient au Golf Drouot, temple parisien du rock et des yéyé, pour en découdre lors du premier championnat de France de DJ. Durant plusieurs week-ends, les platinistes se sont affrontés à coups de mix ouverts et ultra-chronométrés. Avec pour le meilleur d’entre eux, le titre de champion à la clef.

Par Valentin Davodeau

Éric Charpentier n’avait que 17 ans lorsqu’il a entendu parler pour la première fois de l’organisation d’un championnat de France des DJ. Mais il n’en fallait pas plus pour que cet apprenti disc-jockey n’ait qu’une idée en tête : celle de se confronter aux meilleurs derrière les platines. Nous sommes alors en 1979 et son jeune âge fait tiquer les organisateurs de ce concours censé se tenir dans l’année au Golf Drouot, à Paris. Mais Éric Charpentier parvient malgré tout à s’inscrire, dans une catégorie spécialement créée pour lui, celle des « moins de 18 ans ». « J’ai donc logiquement été désigné champion de ma catégorie », se rappelle, sourire aux lèvres, ce DJ aujourd’hui basé à Hong Kong sous le pseudonyme de SalsaGodfather. Comme pour beaucoup d’autres participants, cet événement a servi de tremplin pour la suite de sa carrière. Pourquoi ? Comment ? Retour sur un événement devenu symbole de l’âge d’or des discothèques.

La vague disco déferle sur le Golf

Premier du genre, le Championnat de France des DJ s’est déroulé dans une discothèque dont le succès s’est bâti sur des riffs de guitares. Surnommé «  Le Temple du rock », le Golf Drouot a connu des heures glorieuses, en accueillant entre ses murs Johnny Hallyday, Eddy Mitchell ou encore les Who et David Bowie.

Mais en 1979, le club est au crépuscule de son histoire. Face à une concurrence ardue et à l’arrivée des chaînes hi-fi, il cherche à se renouveler. De son côté, Mitsou, fondateur de la Formation Nationale des DJ (FNDJ) a pour ambition de créer une compétition qui réunirait des DJ de tout l’Hexagone. Il se rapproche alors du Golf Drouot, qu’il connait bien puisqu’il s’est déjà retrouvé derrière les platines du lieu, quelques années plus tôt. « J’avais sympathisé avec Henri Leproux, le patron emblématique du Golf Drouot. Cette discothèque, c’était une institution, un club mythique. L’endroit parfait pour organiser ce premier Championnat de France des DJ », lance Mitsou, devenu par la suite un animateur star sur les ondes de NRJ.

SalsaGodfather

Le concours prend forme, avec des éliminatoires prévues sur plusieurs week-ends de janvier à avril, puis des demi-finales en mai, avant une grande finale, organisée le 14 juin. Des DJ venant de Paris et de toutes les régions de France répondent à l’appel, transis par l’idée de devenir le meilleur de tous. En pleine vague disco, ils détonnent dans l’atmosphère très rock du Golf Drouot, avec leurs vestes satinées et leurs chemises colorées. « La fièvre du samedi soir enflamme le Golf ! », écrit alors le mensuel Sono Magazine, un des rares médias à couvrir l’événement.

Le quart d’heure de gloire

Le jour J, le concours est millimétré et les DJ ne disposent que de vingt petites minutes pour faire leurs preuves. Ils doivent enchainer les morceaux à un rythme soutenu pour faire danser le public. « On avait carte blanche sur la musique. Mais il fallait être créatif, original et ne pas se contenter de passer le morceau le plus connu, pour se démarquer des autres DJ », explique Fortuné Pellicano, dit « L’Indien », âgé de 23 ans à l’époque et aujourd’hui adjoint au maire de Brest.

Les critères pour franchir le cap des éliminatoires ? Le choix des morceaux, la qualité des enchainements et l’animation au micro. Concernant le niveau des artistes, les prestations sont très aléatoires selon l’expérience des participants. « C’était les débuts du DJing, les techniques n’étaient pas du tout les mêmes qu’aujourd’hui. Certains ne travaillaient pas sur les enchainements et étaient plutôt portés sur l’animation. C’était parfois une manière de masquer une faiblesse dans le mix », avoue Jean-Luc Bartos, DJ de 23 ans originaire de banlieue parisienne et amateur de funk, qui atteindra la finale du championnat. « Personne n’avait la même notoriété ni la même expérience. Il y avait des DJ confirmés qui travaillaient dans des grosses discothèques et d’autres qui débutaient à peine », ajoute Fortuné Pellicano, qui fera aussi partie des finalistes.

Fortuné Pellicano, dit “L’Indien”

Au fur et à mesure des week-ends d’éliminatoires et des soirées se terminant tard dans la nuit, la majorité des 77 concurrents est écartée. Seize seulement atteignent les demi-finales. Parmi eux, Catherine Costagliola, 23 ans et seule représente féminine du concours. À cette époque, difficile pour une femme d’être considérée à sa juste valeur dans un milieu essentiellement masculin. « Comme j’étais la seule nana du championnat, je n’ai pas vraiment été prise au sérieux. J’avais le sentiment que ça faisait bien pour les organisateurs d’avoir une femme qui participait au concours, mais qu’ils ne voulaient pas trop me mettre en avant non plus. J’ai pris ça avec du recul», confie celle qui écumait les soirées en « disco-mobile » et mixait dans les galas des grandes écoles.

Catherine Costagliola

Ça faisait bien pour les organisateurs d’avoir une femme qui participait au concours, mais ils ne voulaient pas trop me mettre en avant non plus.

Catherine Costagliola, DJ participante

Catherine Costagliola participera à la finale mais sera classée « hors catégorie » dès le départ. Une manière discrète de la placer sous la lumière tout en refusant de la classer au même niveau que les autres participants. À ce sujet, Sono Magazine écrit à l’époque que son âge et son « manque d’expérience » ont constitué la raison de cette décision. La jeune Versaillaise était pourtant dans la moyenne d’âge des autres finalistes.

Quatre prétendants pour une seule couronne

Le grand soir, retransmis en direct sur RTL, se déroule le jeudi 14 juin. Pour la finale, les stars et étoiles montantes du disco ont fait le déplacement : Patrick Hernandez, Nadine Expert, Hurricane Fifi mais aussi les Rockets et Annie Philippe. Le jour J, se faire une place parmi le public est une épreuve. Devant le podium, on ne passerait pas « une feuille de papier à cigarettes au milieu des spectateurs », glisse Sono Magazine. Quatre concurrents sont sur la ligne de départ : deux Bretons, un Corse et un Parisien. La finale débute à 22 h, les candidats alternent entre tubes disco et hymnes rock. Du Elvis Presley vient même s’infiltrer dans les playlists. 

Parmi les participants se trouve Ago Le Touze, jeune homme de 24 ans aux cheveux courts et aux bacchantes prononcées. DJ au Tanagra, une discothèque du Finistère, il peaufine habituellement sa technique tous les samedis soirs à coups de morceaux de jazz, de slows et de disco. Ago fait partie de ces DJ qui envoient régulièrement leurs sélections musicales aux radios pour les émissions du samedi soir. « Le DJ, c’est la clef de la boîte. Naturel, psychologue, acteur, voilà ses qualités. Il doit savoir rire même quand il a mal aux dents […] Bien sûr, le disco tient la corde. C’est le yéyé du moment. Mais il est en train d’évoluer vers la new wave », déclare-t-il à cette époque dans les pages du quotidien Le Télégramme.

Ago Le Touze

Plein d’humilité, ce dernier est cependant venu au Golf Drouot pour gagner. « Ago était déjà très connu en Bretagne. Même s’il était modeste, il voulait vraiment devenir le premier Champion de France des DJ », rembobine David Jaouen, ancien patron du Tanagra. Ce soir-là, son talent derrière les platines impressionne et finit par séduire les membres du jury. Au petit matin, avec une joie non dissimulée, il est désigné vainqueur avec 22 points d’avance. En récompense, Ago reçoit un chèque de 10 000 francs de la part de Line Renaud. Déjà auréolé du succès de Born to Be Alive, Patrick Hernandez offre même sa canne iconique au DJ breton.

Le lundi suivant, Ago Le Touze reçoit officiellement son titre de Champion de France au Palace, club alors au zénith de son histoire. Le jeune homme, qui ne se sépare jamais de sa veste bleu électrique, apprend qu’il représentera son pays au premier Championnat d’Europe des DJ, prévu pour le 28 juillet dans un stade à Bruxelles. D’autres portes s’ouvrent aussi au vainqueur de l’épreuve : il doit partir dix jours à Los Angeles, durant l’automne, pour enregistrer un disque avec Cerrone. Une radio italienne le contacte aussi pour réaliser une émission avec lui. Le Breton est alors le roi du monde.

Ago Le Touze

Mais Ago Le Touze n’empruntera jamais la route de la carrière qui s’offre à lui. Même élu « meilleur des DJ français », il se sait rongé par une maladie et la fatigue le gagne de jour en jour. Après le concours, il doit abandonner les platines du Tanagra pour un séjour à l’hôpital. Le DJ Breton revient ensuite quelques temps en discothèque avant une rechute. Pendant l’été 1984, celui qui savait « rire même quand il a mal aux dents » s’éteint définitivement.

Un tremplin pour les carrières

Une deuxième édition du Championnat de France des DJ se déroulera en 1980, à la salle Wagram, à Paris. Jean-Luc Bartos, qui avait fini à la deuxième place lors de la première édition, y récupèrera la couronne devant plusieurs milliers de personnes. Il y aura par la suite d’autres tentatives de maintenir la compétition, sans grand succès.

Tous ces DJ prendront des directions différentes après le premier Championnat de France. Pour certains, cet événement a marqué un tournant dans leur carrière, leur servant de tremplin pour se produire en discothèque tout au long des années 1980. D’autres ont choisi de privilégier leur vie de famille et un métier plus paisible. De cette période révolue, il ne reste maintenant que quelques vinyles bien rangés dans des caisses. Quant au Golf Drouot, il a définitivement fermé ses portes en 1981. Aujourd’hui, seule une plaque souvenir, au numéro 2 de la rue Drouot, rappelle ce glorieux passé en veste satinée.

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