« On ne sait pas si on va s’en relever » : fermés, les clubs français s’inquiètent pour l’avenir

Écrit par Jean-Paul Deniaud
Photo de couverture : ©Parisparvu
Le 13.03.2020, à 23h19
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C’est une situation tristement historique. Pour contrer la propagation du coronavirus Covid-19, la culture et la nuit sont désormais en pause. Comment s’adaptent les clubs face à l’urgence ? Comment le secteur peut-il s’entraider ? Réponses à Paris, Lyon et Toulouse.

C’était une semaine noire pour la culture. Elle l’a a fortiori été pour les clubs et les lieux de nuit. L’interdiction, dimanche 8 mars dans la soirée, des rassemblements de plus de 1 000 personnes par le ministre de la Santé Olivier Véran, avait poussé certains établissements à fermer leurs portes, ou à réduire leurs jauges. L’annonce, ce vendredi 13 mars midi par le Premier ministre Edouard Philippe, d’une interdiction des événements de plus de 100 personnes leur porte désormais un coup dur.

Ces dernières 48 heures, les clubs La Station ou À La Folie à Paris, ou Le Sucre à Lyon, avaient déjà décidé d’interrompre leur activité de façon préventive. Un certain nombre d’artistes, notamment internationaux, annulaient d’eux-mêmes leurs shows, et une partie public ne répondait plus présent. Si d’aucuns reconnaît avec responsabilité cette mesure de santé publique comme nécessaire, c’est pourtant l’incertitude et l’inquiétude qui règnent en coulisse. 

Combien de temps cette mesure va-t-elle durer ? Comment limiter la casse et penser à l’après ? L’État va-t-il débloquer une aide spéciale pour sauvegarder les emplois et les structures ? À la veille des élections municipales, un “Appel des Indépendants” a été lancé depuis Lyon par le festival Nuits sonores, rapidement déployé nationalement, et pour l’heure rejoint par une centaine d’acteurs de la culture en France (dont Trax). Les signataires en appellent “à la solidarité et au soutien” du secteur privé et des pouvoirs publics. Une urgence que nous rapporte aussi ces six responsables, directeurs artistiques ou de la communication de clubs – Le Sucre (Lyon), Dehors Brut (Paris), Le Petit Salon (Lyon), Badaboum (Paris), Bikini (Toulouse) et La Machine (Paris) ) que nous avons rencontrés.

Comment l’interdiction de rassemblements à plus de 100 personnes va-t-elle impacter votre structure ?

Xavier Paufichet, directeur de la communication de Dehors Brut (Paris) :
Les conséquences sont surtout économiques. Nous avons 40 employés au total, une économie assez fragile après la fermeture de Concrete en juillet dernier. On a beaucoup de mal à se projeter, on ne sait pas encore comment ni si on va pouvoir se relever.

Aurélien Delaeter, directeur des clubs Badaboum, 824 Heures, 3615, La Casbah, le Panic Room (Paris) :
Financièrement c’est un drame. Je ne peux pas encore voir l’ensemble des conséquences, parce qu’aucune anticipation n’est possible et qu’on gère au jour près. Mais tout le monde ne va pas tenir, beaucoup vont mettre la clé sous la porte. 

Julien Delcey, chef de projet La Machine du Moulin Rouge (Paris) :
On a 25 personnes en CDI, sans compter les intermittents, les artistes et les prestataires, comme notre sécu. On réfléchit à une activité partielle, mais pour les intermittents qui bossent avec nous, il n’y pas trop de solution. Il va y avoir des pots cassés. Ça va être compliqué, surtout qu’on ne peut pas se projeter, et que l’on est censés faire notre année en ce moment pour compenser les pertes pendant l’été. Nous avons aussi versé des acomptes aux artistes programmés, et les producteurs de soirées ont aussi versé un acompte. Il y a donc là beaucoup d’argent dehors pour des dates qui ne vont pas se faire. Certains voudront récupérer cet argent, ce que je comprends, mais on va tous être en tension et je sais que toutes les salles ne pourront pas le faire. On a besoin d’aide. Aujourd’hui il y a beaucoup d’annonces d’aides, comme les décalage d’impôts. Il faudrait plutôt avoir des remises pour réussir à surnager.

Antoine Fantuz, chargé de communication au Bikini (Toulouse) :
Les conséquences sont difficiles à prévoir, cela dépendra du temps que les interdictions dureront. Pour le moment nous répondons au public concerné par les annulations de ce week-end, et nous attendons lundi pour mieux rebondir sur la situation et réfléchir au futur proche.

Guillaume Duchêne, directeur de la communication du Sucre (Lyon) :
Nous annulons tous nos événements dans nos différents lieux, même en deçà des 100 personnes de capacité, par bon sens. C’est évidemment très dur pour nous, d’autant que nous avons une activité d’agence événementielle pour le privé (via la société Culture Next, ndlr) qui est fortement touchée. L’impact pour nous est très important. 

Quelles mesures allez-vous prendre pour sauvegarder votre activité ?

Guillaume Duchêne, Le Sucre (Lyon) :
Pour l’instant, les festivals Nuits sonores et European Lab sont maintenus, car en dehors des dates. Les équipes d’Arty Farty et Culture Next travaillent pour prendre des décisions dès lundi, qu’il s’agisse de télétravail ou de chômage technique, pour protéger la santé et les salaires des salariés, des stagiaires et de l’équipe.

Aurélien Delaeter, Badaboum… (Paris) :
Le Badaboum ferme son club, mais les appartements restent ouverts. La Casbah, le 824h, le Panic Room, le 3615 passent de plus de 150 à 100 personnes. Ma priorité est de payer mes salariés.

Salim Bakar, Le Petit Salon (Lyon) :
Nous avons une politique de remboursement du public systématique, même si l’on perd forcément les frais de location. Nous avons communiqué en interne pour rassurer les équipes. L’objectif est que tout le monde puisse être payé. Par contre, on a des DJ’s qui sont arrivés à Lyon pour jouer ce soir et demain. Pour nous c’est compliqué, car il n’y a pas de remboursement possible. Pour les prochains, on fera en sorte de reporter les dates.

Antoine Fantuz, le Bikini (Toulouse) :
On fait au jour le jour, date par date. On reporte au maximum les dates, et on annule celle que l’on ne peut pas déplacer. Nous sommes dans l’attente d’avoir de vraies consignes écrites. Le planning d’automne va être très très chargé, puisque nous reportons les événements actuels à cette période. 

Xavier Paufichet, Dehors Brut (Paris) :
Difficile de dire à l’heure actuelle ce que l’on va mettre en place. Nous réfléchissons à mettre potentiellement des personnes en chômage partiel. 

Julien Delcey, La Machine (Paris) :
Le télétravail et le chômage technique sont des sujets que l’on va considérer. Mais on reste vigilants, car au-delà des annonces de soutien aux entreprises, les critères pour être éligibles sont encore un peu flou. On garde le Bar à bulles ouvert dans la limite des 100 personnes. Ça nous permet de faire travailler une partie du staff et ça nous fait une activité. On ne sait pas combien de temps ça durera. Pour le club,  l’annulation des dates serait psychologiquement très dur pour les équipes qui ont travaillé sur le booking des plateaux, les line-ups, la communication, etc. On n’a pas envie de lâcher ça. On reporte donc le maximum de dates jusqu’à l’automne. Est-ce qu’on tiendra jusque là ? C’est une vraie question. 

Comment le secteur peut-il s’entraider ?

Guillaume Duchêne, Le Sucre (Lyon) :
On a lancé notre “Appel des Indépendants” en début de semaine. Nous sommes désormais 70 structures lyonnaises signataires pour lancer un message d’alerte aux politiques en cette période d’élections. Le même appel est parti depuis Marseille, et bientôt Bordeaux, Paris, Grenoble et Saint-Etienne… C’est une démarche de solidarité et de mobilisation de notre secteur, très fragile. Au-delà, on lance dès ce week-end avec l’équipe du Sucre une Internet Rave. On laisse le club aux DJs locaux, leurs sets seront diffusés sur Twitch pour être rémunéré et soutenir le lieu.

Aurélien Delaeter, Badaboum… (Paris) :
On a rejoint l’Appel des indépendants. L’heure n’est pas à prendre des décisions individuelles, mais collectives.

Julien Delcey, La Machine (Paris) :
On a besoin de solidarité entre tous les acteurs, pour trouver des rustines, se serrer les coudes. Même avec les grosses structures qui ont pignon sur rue, qui sont des entreprises qui coûtent cher. Car il faut se projeter sur le long terme. On a besoin de culture dans des moments comme ça, et il va falloir que la vie reprenne. On doit trouver des solutions collectives pour franchir ce cap, et ne pas avoir un secteur complètement sinistré et des structures qui disparaissent si cela dure 6 mois. La culture est un secteur énorme en terme d’emplois, avec en cascade les bars, l’hôtellerie…

Salim Bakar, Le Petit Salon (Lyon) :
On a rejoint l’Appel des indépendants pour sensibiliser les pouvoirs publics. On espère qu’une d’aide pourra être débloquée. Au-delà, on compte sur une relation de confiance avec nos partenaires, les agents, car nous sommes tous frappés par les conséquences de l’épidémie. Enfin, le Petit salon lance un appel à la scène locale pour que les jeunes artistes nous envoient des DJs sets enregistrés, des vidéos, des pages, que le club relaiera sur ses réseaux, pour continuer à être ensemble.

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