100 % L’EXPO : une nouvelle génération d’artistes débarque à la Villette

Écrit par Antonin Gratien
Le 05.04.2023, à 09h56
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Écrit par Antonin Gratien
Cette fois encore, l’événement gratuit met un généreux coup de projo’ sur la scène émergente en réunissant l’œuvre de récent.es diplomé.es des écoles d’art françaises les plus rayonnantes. À la Grande Halle, et en plein air. Jusqu’au 23 avril.

C’est un rendez-vous singulier dans le paysage culturel hexagonal, de ceux dont on aurait tort de se priver. À l’occasion de son festival transdisciplinaire 100 %, la Villette organise annuellement une exposition électrisante dédiée aux nouvelles signatures de la création. Arts numériques, performances, stylisme… Un riche éventail d’approches, réunies pour clamer toute la vigueur d’une scène bien décidée à élargir encore, et toujours, les horizons de « l’art contemporain ».

De quoi offrir aux visiteur.ice.s de 100 % L’EXPO un « instantané » de l’énergie monstre déployée par cette nouvelle génération ? Inès Geoffroy et Léa Hodencq, respectivement cheffes de projet expositions accueillie par la Grande Halle, et du parcours conçu pour le parc de La Villette, nous répondent. Avant de passer le micro à Ophélie Demurger, l’une des 60 exposant.es – mais surtout farouche défenseuse de la pop culture.

Theophylle DCX / Le chant du 16 juin 1869 – La Ricamarie, 2022 / ©DR

Salut Inès, salut Léa ! Déjà une 5e date pour 100 % L’EXPO, avec une programmation flambant neuve, mais la même ambition que les années précédentes ?

Inès : L’édition 2023 reste fidèle à notre objectif initial, celui d’accompagner et soutenir les artistes au tournant charnier qu’est la sortie de l’école. Il y a le défi du réseautage, le péril de la précarité… C’est un virage épineux, où il est parfois difficile de se repérer. Voilà pourquoi nous avons voulu offrir aux jeunes diplômé.e.s un tremplin, avec le lancement de 100 % L’EXPO. Un projet destiné à créer du lien avec d’autres acteur.ice.s de la culture – commissaires, galeristes…- en mettant en lumière les travaux de ces ex-étudiant.e.s.

Des profils issus d’écoles variées. Fémis, Beaux-Arts, ou encore EnsAD

Inès : Cette diversité permet d’offrir un reflet du dynamisme transdisciplinaire qui anime la scène émergente. Pour cette 5e édition, nous collaborons avec 9 écoles au total. Certaines sont spécialisées dans la vidéo, d’autres la photographie ou encore les arts industriels. Un mélange des genres qui s’exprime librement, sans carcan thématique, puisque les pièces retenues l’ont été pour elles-mêmes, et non leur aptitude à se fondre dans « le moule » d’un sujet commun sous le signe duquel aurait été placé l’évènement.

Doit-on comprendre que 100 % L’EXPO n’est pas une « exposition collective » ?

Inès : Du moins pas au sens traditionnel, qui supposerait un parcours articulé autour d’un seul axe, séquencé en parties ou chapitres. Ici chaque œuvre raconte une histoire singulière ! Même si ces récits dialoguent parfois entre eux, en s’emparant des enjeux socio-politiques qui traversent notre époque. Certain.e.s exposant.e.s pointent le péril climatique, ou appellent à l’inclusivité des corps. D’autres remettent en question la binarité de genre. Jusqu’à envisager des environnements post-apocalyptiques qui anticipent « l’après » hétéronormativité par exemple, en tablant sur de nouvelles manières – plus justes, plus équitables – de concevoir le vivre-ensemble. À croire que la jeune génération n’est pas si désespérée qu’on le dit souvent…

100 % L’EXPO investit un espace monumental. Les 3500m² de la Grande Halle, mais aussi le parc de La Villette avec une partie « plein air ». Quels ont été vos choix scénographiques ?

Inès : Si l’évènement ne coche pas les cases conventionnelles de l’« exposition collective », il n’épouse pas non plus les contours des « stands » de la foire d’art. En fait, nous nous positionnons même aux antipodes de cette configuration au format box. Ce « contre-pied » s’exprime au travers d’un parcours organique, exclusivement monté à partir des matériaux recyclés des années précédentes. Le tout pensé en étroite collaboration avec les exposant.e.s, pour offrir aux visiteur.ice.s une déambulation sans « sens de visite » imposé. À chacun.e d’avancer au gré de l’appel des sens !

Léa : Un principe que l’on retrouve aussi au cœur de notre proposition « plein air ». Non-linéaire, ce parcours s’étend jusque dans le Jardin des Miroirs du parc, et accueille 11 œuvres pour certaines inédites, avec une attention particulière portée à l’Ecole Nationale supérieure de la Photographie. En raccord avec l’ambition portée de longue date par La Villette, ce projet vise, notamment, à faire tomber la barrière qui s’érige parfois entre les publics et l’art contemporain. En organisant une exposition à ciel ouvert, nous souhaitions permettre à tous.tes les promeneur.euses – habitué.es des musées, ou non – de découvrir ce pan de la création, sans se heurter à cette étape parfois intimidante qu’est l’entrée dans un lieu d’exposition.

Une manière d’inviter ces publics à poursuivre l’expérience dans l’espace d’exposition de la Grande Halle, justement ?

Léa : C’est l’un de nos objectifs ! Conduire les visiteur.ices vers cet endroit où l’accent est mis, là aussi, sur l’accessibilité. Programme gratuit, cartels rédigés à l’attention de tous.tes… Sans oublier la mise en place de visites guidées, notamment dédiées aux plus jeunes.

Au menu également, plusieurs interventions artistiques complémentaires ?

Inès : Pour mettre en lumière d’autres circuits que ceux liés aux écoles, nous avons invité la promotion 2022-2023 d’Artagon Pantin à envahir la Grande Halle, de ses entresols au plafond, à l’occasion de shows interdisciplinaires, le samedi 8 avril. Une journée de célébration qui se clôturera au club À la Folie, avec des DJ sets animés par d’autres collaborateur.ices durant toute la soirée. Sur une note plus studieuse, La Villette hébergera aussi des rencontres animées par le collectif Vendre la mèche, autour des méthodes de « survie » dans ce milieu parfois hostile qu’est l’écosystème de la culture. Une réflexion à l’adresse, tout particulièrement, de celleux à qui L’EXPO 100 % est consacrée : la nouvelle génération de la création.

Une frange artistique en ébullition dont Trax a pu prendre le pouls, en toquant à la porte d’Ophélie Demurger. L’une des exposante de l’évènement, fraîchement sortie des Beaux-Arts de Lyon au terme d’un parcours pluridisciplinaire, articulé autour de cet objet « injustement méprisé » qu’est la pop culture. Rencontre solaire avec une éternelle #TeamLorie dont l’œuvre mordante, féministe et barrée fait des étincelles entre les murs de la Grande Halle.

Ophélie Demurger, Kim –> Paris –> Me, 2021

Hello Ophélie ! Pourrais-tu décrire ton axe de travail ?

Ophélie : J’ai fait mes premiers pas dans l’art à travers des remakes de clips musicaux. Avec une dimension « performance », liée à la métamorphose de mon corps – décoloration de cheveux, ajouts d’extension… – pour me glisser dans la peau des femmes que j’incarnais, de Céline Dion à Rihanna. En marge de cette production vidéo, j’utilise aussi la photo ainsi que le récit autobiographique pour aborder le storytelling associé aux vedettes, les représentations de la féminité, et le star system. Que ce soit versant fan ou people.

La célébrité est un objet de fascination pour toi ?

Ophélie : Disons que je suis née en 1994, et que comme toute ma génération, j’ai grandi avec la Star Academy. Puis il y a eu la grande vague des Alizée, L5 et mon coup de cœur, Lorie – une révélation. En tant que personne issue d’un milieu modeste, le star system m’a permis d’imaginer qu’un futur flamboyant était possible. Ce qui m’a poussé à faire de la danse, puis à me lancer dans le rap en m’appuyant sur des figures telles que Diam’s – bref, le monde du show m’a fait rêver, tout simplement. De cette fascination de jeunesse, il me reste aujourd’hui un intérêt ambigüe pour cet univers, entre attraction et répulsion. Une ambivalence qui me pousse à interroger la « fabrique » des images liées à la célébrité. N’oublions jamais que derrière chaque faciès de clip, chaque post sur les réseaux, il y a une « ingénierie » ! Une mise en scène qui peut être disséquée, décortiquée…

C’est cette « déconstruction » de l’imaginaire pop que tu explores à 100 % l’EXPO ?

Ophélie : En partie, oui. L’installation que je présente comporte deux pièces. Il y a une photo sur laquelle j’imite Paris Hilton lorsqu’elle-même avait imité Kim Kardashian, dans le cadre d’une campagne promotionnelle organisée par Yeezy (ex-marque de partenariat entre Kanye West et Adidas, ndlr). En m’appropriant – façon cheap – les codes de cette mise en scène, il y a une dimension humoristique bien sûr. Mais pas que ! L’objectif est aussi de dévoiler les coulisses de confection des images pop qui circulent à grande échelle – et sous lesquelles, parfois, nous croulons. Ma « copie » permet, par exemple, de mettre le doigt sur la stratégie de communication qui était à l’œuvre pour Yeezy. À savoir : générer du buzz en faisant circuler un cliché à l’allure de photo prise à la volée par un paparazzi. Sur un autre registre, cette pièce évoque la rotation des rôles dans le star system. À l’époque où la photo originelle avait été prise, la hit girl n°1 qu’était Paris Hilton avait pour assistante Kim K. Celle-là même qui est aujourd’hui au Panthéon de la fame, tandis que Paris Hilton passe aux oubliettes. L’élève a dépassé le maître, en un sens…

L’autre partie de ton installation mobilise, elle aussi, la grammaire du star system ?

Ophélie : Sur une note légèrement différente. À côté de mon remake sera projetée une vidéo où je détaille en ASMR (méthode de relaxation à partir de stimulations sensorielles, ndlr) l’histoire du vocal fry. La « laryngalisation » en français, qui consiste à comprimer ses cordes vocales pour rendre son timbre plus grave. Cette « friture » de la voix est d’abord valorisée comme un signe d’autorité vers les années 60, lorsqu’elle est employée par des hommes dans les cercles de la bourgeoisie anglaise, avant d’être tournée en ridicule – mais seulement côté féminin, avec l’usage de cette technique comme ressort comique courant 90’s. Typiquement, le « Oh my gooooooood » de Janice dans Friends. Côté mecs, le vocal fry renvoie au sérieux, mais dès qu’il s’agit de femmes on l’assimile à l’incompétence. La frivolité, l’idiotie. Sur ma vidéo, je dénonce ce « deux poids, deux mesures » en faisant défiler des images récupérées sur le Net où des emblèmes de la pop culture comme Britney Spears utilisent le vocal fry, tout en proposant un tuto pour que chacun.e puisse reproduire la laryngalisation chez soi et l’utiliser – dans mon récit utopique – comme une arme de destruction massive contre le patriarcat.

Britney, Janice, Kim K. etc. Ta proposition pour 100 % L’EXPO résonne comme un hommage vibrant à la pop culture

Ophélie : Il y a de ça. Je regrette qu’en France les musiques, personnalités et vêtements qui y sont associés soient encore trop souvent relégués au rang de « sous-culture » qui n’arriverait pas à la cheville d’une autre, jugée par comparaison « noble ». J’essaie de renverser cette hiérarchisation discriminante en présentant, dans mon travail, la pop culture comme une culture à part entière, aussi riche, intéressante et légitime que les autres. Quand on sait qu’aux États-Unis plusieurs universités dispensent des cours sur Beyoncé, on ne peut pas s’empêcher de se dire que notre élitisme national est à côté de la plaque. Et qu’il serait grand temps de faire bouger les lignes.

Le travail d’Ophélie Demurger est à retrouver avec celui d’une soixantaine d’autres exposant.es. à la Villette, jusqu’au 23 avril.

Toute la programmation de 100 % L’EXPO ici.

Évènement gratuit.

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