Albatros – Africa (CBS, 1975) / Toto Cutugno – L’été indien
OK, Joe Dassin n’a pas encore rejoint les rangs des artistes un peu ringards redevenus cools. Sans doute faudra-t-il patienter jusqu’au Dekmantel Selectors 2028 pour que les diggers s’autorisent ce plaisir coupable. Mais une récente discussion sur les crooneurs italiens avec Antoine Kogut (le disque français du mois du Trax #214), au cours de laquelle ce dernier nous apprenait que l’ami Joe avait en fait éhontément pompé le morceau « Africa » de Toto Cotugno et de son groupe Albatros, nous avait fermement coincé ces « ba ba ba » célestes dans la tête. Et Tisno n’a rien arrangé. Située entre les terres et l’île de Murter, cette petite municipalité s’étale sur deux rives séparées par une eau turquoise. 30°, soleil radieux. Pieds nus sur la terrasse, après avoir soulagé la supérette d’une palette d’Ožujsko, la bière locale, on ira quand tu voudras, où tu voudras. En contrebas, la route principale longe la côte et les embarcadères se succèdent tout du long. Les Croates s’y baignent à toute heure de la journée, en plongeant directement du trottoir. Sur les pavés, la plage. Et 30 minutes plus loin, le festival.
Martyn Bootyspoon – Helicoptah Dance (Fractal Fantasy, 2018)
Flash forward. La lune se dilate entre les fumigènes, le Funktion One blaste à plein régime. La journée à bronzer sur la plage, les bouées géantes, le funk sur les transats les pitchers de Sex On The Beach engloutis en solo alors qu’il y avait 4 pailles dedans ? On y reviendra. Là, il est 1h du matin et Batu en découd avec le dancefloor. Ultra-technique, le Britannique fait valdinguer les oreilles avec sa bass music leftfield et tendue. Là où le Selectors réalise un sans-faute, c’est en programmant à chaque heure de la journée la musique qui lui convenait parfaitement. Et dans la nuit chaude et ensablée, chacun était partant pour se laisser emporter dans les virages en épingle du DJ de Timedance et Hessle Audio, à l’image de cette perle de stabs stomacaux et de vocodeur cabossé.
Ndedi Dibango – Wouma Sesse (Touré Jim’s Records, fin-1980)
Il suffit de 8 secondes pour comprendre ce qui se trame ici. Cette petite intro puis le switch d’énergie (un saxo bien placé ça fonctionne toujours), les bras qui se lèvent sur toute la piste, les sourires qui s’élargissent, le frisson partagé. Dekmantel oblige, Rush Hour avait envoyé une grosse délégation : Antal, San Proper, Sassy J… De bons sets chez tout le monde (même si l’on s’y est pris trop tard pour en voir certains sur le navire de croisière, ça avait l’air dingue), mais c’est Hunee qui raflera la mise dans la catégorie endurance. Remplaçant au pied levé DJ Harvey, dont on apprend le vendredi matin qu’il s’est blessé et ne pourra pas honorer son set de six heures à l’afterparty, il arrive le lendemain sur la main stage chauffé à bloc, à enchaîner les bangers de house, boogie, funk… Et ce makossa imparable.
Tandu – New Aura (Phonokol, 1997)
Mais la concurrence est rude. Sur la Voodoo stage, l’ambiance est ce soir au sombre et cadencé. Le premier jour, la belle découverte de DEBONAIR nous avait fait pressentir que la plage n’allait pas rester radieuse et feel good tout le long du festival. Ce samedi, Le Salon des Amateurs avait lui aussi dépêché ses émissaires : Phuong Dan, puis Lena Willikens en b2b avec Vladimir Ivkovic. On ne les avait jamais vus en live, et le verdict est sans appel : la hype est méritée. Ce « New Aura », balancé par ces derniers au cœur sombre de la nuit, incorpore tous les éléments distinctifs de leur musique : les sons de trance au ralenti, les basslines acid bien pesantes, et puis ce break à 6mn10 laissant le dancefloor désorienté avant de l’entraîner de nouveau dans la danse et l’oubli.
Cabaret Voltaire – Easy Life (Very Strange Mix)
Un autre Willikens et Ivkovic, trippé jusqu’au bout des ongles. Au Selectors, aucun set ne durait moins de deux heures – ça devrait être la norme. Durant quatre jours, le sentiment persiste que les DJ’s prennent plus de risques, se permettent toutes les audaces. Personne n’était là pour la jouer safe.
Deformer – Slasher’16 (Deformer’s Self-Surgery) (PRSPCT RVLT, 2016)
Le dimanche fut compliqué. L’organisation assez exemplaire du festival perd des points avec la non-prise en compte d’un facteur élémentaire : la météo. Lorsquel’orage éclate et que la pluie noie le festival (un scénario somme toute assez commun sur la côte croate), le line-up s’en retrouve complètement chamboulé. La main stage est déplacée sur la petite terrasse du restaurant. Plusieurs artistes sont déprogrammés, Sadar Bahar se retrouve à jouer sur un sound-system au rabais devant un parterre de sardines. Dommage. La scène Voodoo est quant à elle déplacée sous une grande tente, récupérant un dancefloor trois fois plus grand que la veille. L’amour à la plage, c’est fini pour aujourd’hui, et Parrish Smith l’a bien compris. Il est tout juste 22 heures lorsqu’approchant la clôture de son set, une techno lancée à 140 BPM, il assène le coup de grâce avec ce track mi-drum’n’bass, mi-hardcore. Nos oreilles se souviennent encore des hurlements des (nombreux) Anglais dans la salle.
Situation – Yaz (Sire, 1982)
Qu’ils jouent de la soul, de l’indie house, de la techno ou de l’acid, les artistes du festival semblaient s’être tous donné le mot : chacun aurait son « moment Depeche Mode ». C’est comme ça que l’on aura fini par baptiser cette nouvelle manie de systématiquement caler UN track de new wave/synth pop dans son set. Marcel Dettmann ne fera pas défaut avec ce classique de Situation. L’Allemand n’aura pas livré le meilleur set du festival, mais cela faisait plaisir de l’entendre dans le contexte rare où il ne comptait pas, dans l’esprit du public, parmi les headliners du festival.
Paul Hardcastle – Movin’ Sound (Chrysalis, 1988)
Ouf, il refait beau. On se pointe donc une nouvelle fois en maillot sur la plage privée du Garden Resort. Les deux scènes principales n’ouvrant qu’à 18 heures, la première partie de la journée est consacrée à se demander pourquoi diantre l’on avait pas entendu parler plus tôt de ces excellentissimes DJ’s qui ambiancent le Beach Bar. Le dancefloor ne désemplit pas, les bonnes vibes ne le quittent jamais. Exemple parlant avec cette perle lancée sans crier gare par Tako, ne laissant d’autre choix aux corps transis que de continuer sur la réserve, d’aller se chercher un smoothie détox bien chargé et de rejoindre la clique qui agite des palmiers gonflables devant le DJ.
[BONUS] Loose Joints – Tell You (Today) (4th & Broadway, 1983)
Tako toujours. Il y a des morceaux qui font basculer un set : ce moment où le dancefloor change de cadence, s’exclame de surprise et redouble d’énergie. Larry Levan aurait été fier. Au milieu de l’eau, la plateforme en bois tangue en rythme sous les pas d’une trentaine de fêtards.
The Beloved – Sweet Harmony (Atlantic, 1993)
“Let’s come together, right now, in sweet harmony” entonné à l’unisson au coucher du soleil. On en a presque les larmes aux yeux. Avec seulement 2 000 personnes, le Selectors fait partie de ces festivals où l’on finit forcément par tous se connaître un peu. Et d’avoir conscience que l’on a partagé ici l’un de ces moments d’extase qui font de la musique, l’espace de 16 mesures, la plus belle chose au monde.
LOI – Body Contact (G Clef, réédité en 2014)
Le New-Yorkais affilié à Sound Signature nous console de la petite déception de n’avoir pas vu Sadar Bahar au sommet de son art. La soirée est loin d’être terminée, mais on commence à faire la paix avec le fait qu’il faudra le lendemain matin traîner sa carcasse jusqu’au bus, 2h de trajet pour retourner à l’aéroport, direction Paris la grisâtre. Alors, une dernière partie de body contact sur la piste avant de redescendre, ça ne se refuse pas.
Les préinscriptions pour Dekmantel Selectors 2019 sont déjà ouvertes ici.